Gaijin Café #25 - Paroles de Gaijin : "Pour moi, le Japon c'était une petite île mais avec de grandes choses"
Cette semaine, nous abordons un nouveau format de Gaijin Café, Paroles de Gaijin laissera de temps en temps la parole à d'autres expatriés qui partageront avec nous leur histoire avec le Japon, vision du Japon ou anecdotes préférées !
En écho à la chronique précédente sur Massan et sa femme Écossaise qui découvre le Japon pour la première fois, j'ai rencontré Aurélie qui à priori n'était aucunement prédestinée à vivre au Japon aujourd'hui : elle n'aime pas les mangas, la musique, l'origami ou encore la technologie nippone. Sa seule image du Japon avant de venir ici était constituée de son restaurant japonais préféré et de ce que les médias veulent bien transmettre en France : Fukushima et une armée de salaryman en costume se tuant au travail. David, le mari d'Aurélie depuis 3 ans, travaille dans la robotique. Dans ce cadre, il a entamé un séjour d'un an au Japon en décembre et Aurélie l'a accompagné.
En tant que lecteur de DozoDomo ou en tant que membre de l'équipe, il est évident que nous avons tous quelque chose que nous aimons quand on parle du Japon. Une curiosité, une passion, qui fait que si nous venons en voyage ou habiter ici, nous en savons déjà quelque chose. Si j'ai voulu échanger avec Aurélie, c'est parce qu'elle ne connaissait rien de ce pays, sinon l'image que les médias véhiculent. Comment réagit-on en arrivant dans ce pays si différent à bien des égards ? Qu'en pense-t-on ? J'ai voulu explorer l'expérience d'un expatrié au Japon, qui est ici un peu par hasard.
Avant de partir
Aurélie ne s'est pas préparée du tout avant de venir au Japon, elle a fait le choix de se réserver une totale surprise en arrivant sur place, d'un point de vue culturel mais aussi pratique ! Sa seule préparation était psychologique, son but étant de ne pas non plus être déçue si jamais elle se faisait une fausse image. À l'inverse, David était dans la démarche de venir travailler au Japon. Enfant de la génération Dorothée, il avait préparé minutieusement son voyage qui était une possibilité qu'il évoquait depuis 5 ans déjà. Blogs, sites web, vidéos, il s'était renseigné en détails sur la vie au Japon pour à la fois savoir quoi voir mais aussi ce qu'il devait faire une fois sur place. Il ne regrette absolument pas ce choix, d'une part il a déjà une liste des endroits qu'il veut visiter et d'autre part : "Par exemple, acheter une Pasmo dès que tu arrives, ça ne sert à rien d'attendre et de te poser la question ! [...] Et les détails vraiment pratiques, au final tu peux les prévoir si tu t'es renseigné... ". Mais d'un autre côté, le fait d'habiter dans une plus petite ville le met face à des situations qui ne sont pas ou rarement abordées dans les sites ou les vidéos qu'il a consultés.
Le Japon, vu de la France
Pour Aurélie, le Japon c'était "une petite île mais avec de grande choses. Avec beaucoup de monde ! [...] Quelque chose de grandiose et un peu irréaliste." Ce pays du bout de monde n'évoquait pas grand chose pour elle, sauf cette image de sushi et d'hommes en costume que beaucoup d'entre nous se font pour commencer. David, au contraire, avait "Travailler au Japon" sur sa to-do list ! Il avait donc été en contact avec des films, des animes mais surtout avec la culture gastronomique nippone, dans un très bon restaurant de Montpellier qui explore au delà du classique tandem sushi/yakitori. C'était également une image de pays avec une nourriture ultra-saine pour eux deux : "On nous a fait des éloges : [...] Le japon c'est super sain ! Et en fait, quand t'arrives ici tu te rends compte que pas du tout !" L'image du Japon sushi/tofu/légumes qu'ils s'étaient forgée a pris un sacré coup dans l'aile devant l'avalanche de fritures qui côtoie finalement beaucoup moins de légumes que ce qu'ils ne pensaient. Le coût de la vie plus élevé également, s'est révélé une image fausse, alors qu'ils supposaient qu'il ne serait pas forcément évident de tenir un budget, la situation de la ville de Tsukuba et le coût de la vie afférent les as surpris, en bien !
"On avait regardé Totoro, et il y a plein de choses que tu vois dans le dessin animé, et finalement quand tu arrives ici tu te rends comptes [que Ghibli] a repris des vrais images, les arrêts de bus par exemple." Alors que finalement, en voyant le film en France, tout le monde ne se dit pas que Mon voisin Totoro s'inspire de situations de la vie réelle au Japon. David nous avoue ensuite que faire regarder les dessins animés Ghibli était surtout un moyen détourné de renseigner Aurélie sur le Japon à son insu et en s'amusant !
La sexualité débridée des japonais ?
Il y a une chose qui faisait peur à Aurélie : les photos de filles en soubrettes dans la rue. Sans savoir exactement ce qu'elles faisaient, Aurélie avait l'impression qu'elle allait être exposée à ce genre de situations qui en France en choquerait plus d'un, et qu'elle pensait être à la limite du décent. Ce qu'elle en percevait en France, c'était une sexualité japonaise qu'on évoque pas forcément à voix haute mais qui va dans des extrêmes un peu effrayants. "Mais finalement, si tu ne veux pas aller dans ces endroits, tu n'y vas pas." conclue-t-elle. David continue en nous disant "Souvent, avec une image de l'extérieur, on ne voit que les extrêmes du Japon. [...] On s'attendait à être beaucoup plus exposés dans la rue." Une bonne surprise également en somme, mais aussi une image du Japon en France bien différente de la réalité.
Les premiers pas au Japon
Le premier choc culturel : les hôtesses qui ne parlent pas anglais ! Ce qui ne présageait rien de bon pour la suite sur le territoire... Et ça n'a pas loupé puisque le personnel des aéroports parlaient un mauvais anglais voire pas anglais du tout. Dès les premiers pas à l'aéroport, Aurélie est surprise par les toilettes à la japonaise, qui la mettent dans le bain tout de suite. "On a découvert que les magasins ne fermaient pas la nuit !" me confie Aurélie, grand changement avec la France où il est difficile de trouver un magasin ouvert en fin de soirée alors que les combini pullulent ici, et qu'il existe même des supermarchés ouvert H24. Dans le même ordre d'idée, le dimanche est au Japon un jour comme les autres ! Rares sont les magasins ou lieux culturels qui ferment le dernier jour de la semaine. Puis vient la première vraie sortie dans la capitale, Aurélie me raconte : "Tu te rends compte que tu es dans une autre dimension, ces immeubles hyper grands avec ces panneaux lumineux partout, les gens qui courent dans tous les sens. [...] C'était à couper le souffle."
La gentillesse des Japonais les a également surpris, tous les Japonais à qui ils ont demandé un renseignement les ont aidés du mieux qu'ils ont pu même s'ils ne connaissaient pas le bon métro ou la direction ! Et ce, malgré la barrière de la langue. C'est un sentiment de sécurité globale, et de respect total des uns envers les autres qu'ils ressentent également. Le bus, le métro sont complètement silencieux et personne ne parle fort, et malgré l'absence de poubelle le Japon est très propre. "Par contre, je ne pensais pas que les Japonais utilisaient autant les vélos !" continue Aurélie, et David de compléter "On a compris le premier jour qu'on serait tout le temps à vélo, c'est indispensable ici.".
La barrière de la langue, c'est un problème ?
Aurélie parle peu anglais, mais globalement Aurélie et David ne parlent pas japonais. Je leurs transmets une question qui revient souvent sur thème des séjours au Japon "Sans parler anglais, ou seulement un peu, est-ce qu'on peut s'en sortir au Japon ?", "Honnêtement, oui !" me répond Aurélie "Avec mon mauvais anglais, je comprenais même mieux que David ce que les Japonais essayaient de me dire." Celui-ci complète "Il faut être moins difficile", si on accepte de ne pas tout comprendre et quelquefois de ne pas avoir de réponses à ses questions on s'en sort très bien selon eux. À noter néanmoins qu'ils ont eu la chance d'avoir un intermédiaire qui a fait toutes les démarches administratives pour eux, de même le bâtiment où ils habitent possède du personnel dédié qui peut les aider à déchiffrer du courrier en japonais. Ils ont néanmoins été confrontés à la situation que beaucoup vivent, où des Japonais refusent de leur parler ou même d'essayer de comprendre car ils sont face à des étrangers. Sur ce sujet, ils nous racontent une anecdote amusante, où un employé d'un magasin s'est senti obligé de mimer l'absence du présentoir de cartes postales à grand renforts de gestes, alors qu'ils essayaient de demander si il y en avait d'autres ailleurs ! Comme si cet employé se devait de montrer qu'il avait fait son possible pour les servir mais n'avait pas réussi.
Le Japon pratique du quotidien
La richesse de la nourriture japonaise est une très bonne surprise pour David, et il apprécie beaucoup le choix qui s'offre à lui. Au contraire, Aurélie pense qu'elle mange toujours la même chose ! Le Japon est un pays pratique, et qui diffère de la France sur les choses de tous les jours : les combini où l'on peut tout faire (factures, recharges de téléphone, billets d'avions ou gourmandises de 3 heures du matin), le fait de toute payer en liquide, et les rabais sur les fruits ou légumes un peu abîmés sont autant de choses qu'ils apprécient beaucoup. Enfin, le vrai bon point, c'est l'accessibilité des monuments culturels qui sont peu onéreux voire complètement gratuits ! Eux qui sont là pour voir un maximum de Japon avant de partir, sont très contents de pouvoir explorer autant la culture nippone à moindre coût.
Mais le Japon a ses mauvais côtés aussi
"Dans les côtés qui sont moins plaisants, moi je trouve dommage le fait qu'on ne puisse pas vraiment se faire d'amis Japonais", David trouve que passer la barrière sociale que les Japonais mettent en place est compliqué et il le regrette, d'autant qu'ils ne sont là que pour un an. Bien que David et Aurélie fassent partie d'une Église ici, il leur est compliqué de nouer de vrais relations avec les autres membres. Au moment des attentats de Charlie Hebdo, les Japonais de cette Église se sont inquiétés de la santé des familles de David et Aurélie, mais il semble impossible de franchir ce petit pas qui leur fera les considérer comme de vrais amis. Le seul événement où ils ont pu partager réellement est le repas de Noël de la communauté en décembre dernier. "Bon, il a fallu s'habituer à retirer les chaussures lorsque tu rentres !" rigole Aurélie, et finalement cette barrière sociale est finalement le seul point négatif à réellement souligner pour eux.
Ce qui plaît vraiment, au Japon ?
La culture, ce choc culturel quotidien, et la découverte permanente ! Ils adorent prévoir leurs escapades et se sont sentis bien quelque soit l'endroit où ils se sont rendus pour le moment : Izu, Tokyo ou Tsukuba, ils aiment ce Japon touristique ou quotidien. Même si l'hiver n'a pas rendu des plus agréables les visites pour le moment, l'arrivée prochaine du printemps devrait leur permettre de visiter un Japon encore plus beau.
France vs Japon : l'ultime combat
La plus grande différence à leur yeux : le respect ! "Ta vie est tranquille, car personne n’empiétera sur tes libertés", nous dit David, et Aurélie complète en précisant que ça n'est pas une soumission mais bien une éducation qui mène à ce respect de tous au Japon. David continue "C'est un tout en fait, cette idée de ne pas faire passer l'individualisme avant le groupe." L'individu ne se met pas en avant au Japon, et ainsi on ne salira pas un endroit car on sait que les autres en pâtiraient derrière, selon lui : "C'est vraiment agréable de pouvoir dormir dans le train, car tu ne te feras pas dépouiller..."
Le fait étrange que le Japon soit aussi contradictoire également, avec son tri strict des déchets mais ses sacs plastiques à ne pas savoir qu'en faire : les emballages dans les emballages, dans d'autres emballages ! Un peu étrange dans un pays qu'on qualifie souvent d'attentif à la nature. Les maisons non isolées, le chauffage trop chaud l'hiver et la clim trop froide l'été sont autant d'éléments qui diffèrent complètement de la culture française à leurs yeux.
Ce qui manque au Japon
"Le côté social !" répond sans hésiter Aurélie, le Japon est pour eux une petite parenthèse d'une année et ensuite, retour en France pour retrouver leurs familles respectives, et leurs projets de vie actuellement en stand-by. Vivre au Japon leur plaît, rien ne leur déplaît vraiment ici finalement à part ce manque des leurs et de contacts un peu moins rigides que ce que les Japonais pratiquent au quotidien. David a de la chance de travailler dans un environnement de gaijin qui lui permet de garder un lien avec sa culture mais Aurélie, qui travaille à domicile est plus isolée. Elle entretient un blog familial où elle poste des photos de leurs aventures nippones, mais même à l'ère du numérique rien ne remplace la présence de leurs proches à leurs côtés.
Ce qui les a choqué
Le manque de communication au sein des familles qui vont au restaurant ! Il n'est pas rare de voir une famille ou un couple, manger ensemble et être chacun de leur côté sur les écrans sans s'adresser un mot ou même un regard. Difficile de comprendre lorsqu'on vient d'une culture où le repas occupe une place très importante dans la vie sociale, comment on peut être à la même table sans interactions alors que l'on n'est pas en froid.
Un petit secret ?
Un peu détendu à la fin de l'interview, ils nous avouent à demi-mot pratiquer le gaijin smash de temps à autre (enfin surtout David), comme par exemple prendre une table que quelqu'un a réservé avec un appareil photo ou un objet comme si vous n'aviez pas compris qu'elle était réservée.
Et pour finir, leurs petits conseils
"Prévoir assez de vêtements !", nous dit David, car des pieds un peu grands selon les critères japonais ou même une carrure que l'on peut qualifier de normale pourrait vous poser des soucis au Japon. Notre couple vient du Sud, et pour eux, l'hiver a été rude ! Ils conseillent donc également de vraiment s'équiper lorsque l'on vient au Japon dont le froid ressemble plus à celui du Nord en termes de températures ressenties. Ce n'est pas parce qu'il fait chaud l'été qu'il ne fait pas très froid l'hiver, au contraire, le Japon est plutôt dans les extrêmes. Côté soins, Aurélie conseille de prévoir une crème très hydratante ! La peau s'assèche bien plus fort ici, et les peaux peuvent devenir plus sensibles. Pour la langue, inutile de s'encombrer à leurs yeux d'un niveau moyen en japonais : soit le parler très bien, soit connaître des formulations de bases et quelques mots pratiques mais pas plus au risque de se retrouver face à des Japonais qui pensent que vous avez un niveau courant et dont vous ne comprendrez pas les réponses. Avoir un niveau basique, selon eux, permet de se faire répondre de manière très simple.
Pour se prévenir du choc culturel ? Aurélie nous répond "Ils ont ce rythme de vie là, tu viens dans leur pays, j'essaye de faire ma vie en respectant leurs règles. Le choc culturel, tu l'as forcément, il faut savoir s'adapter."
Édito
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