Gaijin Café #21 - Sur-présence au travail et efficacité : l’équation impossible ?
Le Japon est souvent reconnu comme un pays aux heures de travail invivables, pays sans grève et où les salariés donnent leurs vacances à leur employeur pour le plaisir. Le prisme de la presse européenne a souvent tendance à grossir le trait comme on a pu le voir en mars 2011, où une grande partie des gens ont cru que Fukushima était le Japon à lui tout seul.
Alors qu’en est-il vraiment ? Les Français sont-ils vraiment des travailleurs irréconciliables avec l’environnement de travail japonais ?
Je travaille dans un environnement multi-culturel, mais je vais uniquement parler des Français et des Japonais lors de cette chronique afin de mettre en lumière ce que j’ai pu constater. À savoir que puisque je travaille dans un laboratoire de recherche, les salariés ne sont pour le plupart pas sujets à des heures fixes de travail, comme les cadres en France.
Le paysage
Commençons par les faits, la France est aux 35 heures depuis un certain temps maintenant et même si d’un côté de nombreux salariés dépassent ce quota et d’un autre côté d’autres martèlent qu’aussi peu d’heures est un non-sens, c’est un acquis. Les Français ont tiré beaucoup de bénéfices sociaux de ce système : sorties culturelles, entre amis, en famille, nous aimons nos week-ends et nos soirées qui permettent une évasion culturelle. Sans oublier les 5 semaines de congés payés en moyenne par an, on pourrait penser que la réputation de fainéants des français se mérite...
Surtout en comparant aux Japonais ! Environ 10 jours de congés payés par an, une moyenne de travail hebdomadaire contractuel qui se rapproche plus des 40 heures, sans compter les repas de travail, les réunions obligatoires le samedi, les dimanches réquisitionnés... On s’étonne souvent face à ce traitement que les Japonais supportent souvent en bronchant à peine pour un salaire pas forcément plus élevé. Oui, mais.
Le lieu de travail est quasi un lieu de vie
Même si je suis consciente que c’est peut-être une spécificité de ma branche de travail, je ne peux m’empêcher de lever un sourcil en voyant un collègue faire plusieurs siestes de 30 minutes à 1 heure dans une seule journée. Encore plus en entendant qu’untel regarde des films au travail en s’affalant dans son siège alors qu’il est marié ou qu’un autre vient les jours fériés. À côté de ça on peut voir des gens arriver à 6 heures du matin pour repartir à plus de 22 heures et travailler encore à la maison... Nous avons un jour dans la semaine où il est interdit de rester après 19 heures (avec sanction si non-respect), des messages quotidiens contre la sur-présence et des semaines de fermeture complètes des locaux avec désactivation des accès (i.e. pour empêcher les gens de venir travailler, les en empêcher !).
Côté français, ça travaille beaucoup mais nous tenons pour la plupart à nos week-ends et nos vacances, et surtout nous prenons une vraie pause de midi. Nous partons tous ensemble à la cantine ou dehors, pour nous arrêter une heure et discuter en mangeant. La plupart des Japonais ne quittent même pas leur station de travail et s'ils nous joignent pour manger, avalent leur bol de riz en trois coups de baguettes sans échanger un regard ou une parole. Même si nous sommes entre collègues et souvent amis entre Français, chacun retourne à sa vie le soir et ne quitte pas le travail en quittant sa famille. Sans dire que nous avons hâte de partir, je n’ai jamais vu personne partir à 22 heures pour le plaisir.
On pourrait retracer l’origine de cette différence à la vie scolaire nippone qui empiète le plus souvent sur le soir, le week-end voire les vacances. Le Japonais est un être de groupe, qui lui permet de s’identifier et de fixer son point de référence.
Le travail, groupe de référence au Japon
Car beaucoup plus qu’en France, le travail est le groupe par lequel le Japonais s’identifie et qui lui apporte son statut social. L’entreprise japonaise par laquelle on commence son travail devrait être celle par laquelle il termine sa vie professionnelle. Elle apporte une place dans la société, se porte garant pour votre appartement, et quelquefois vous offre une femme ou un mari sur un plateau d’argent. Moins difficile de comprendre en entendant cela, que rester le plus longtemps possible au travail est presque un sport au Japon. De plus, ce groupe est à placer au dessus de tout, et par conséquent participer à la cohésion de celui-ci est une condition sine qua non si on veut être accepté et perdurer en son sein, on attend donc en général des employés qu’il reste aussi tard que leur chef pour manifester de la solidarité envers les efforts qu’il fournit. Il n’est pas rare non plus si tout le travail est terminé de voir son chef décréter que tout le monde ira manger et boire ensemble jusqu’à ce que bon lui semble, souvent jusqu'au dernier train sans pour autant avoir le droit de venir un peu plus tard le lendemain matin.
Mais la sur-présence est un mal, puisqu’elle nuit à l’efficacité des employés qui fatigués, font la sieste et restent au travail sans vraiment rentabiliser leur présence : en se basant sur les chiffres trouvés sur Nation Master et Ipsos, on constate une productivité au travail presque identique alors que les Français font 20% d’heures de travail en moins. Une question de point de vue. Preuve en est, la création régulière de jours fériés aux noms aussi évocateurs que « jour de la montagne » ou « jour de respect des anciens » et l’annonce récente d’Abe Shinzo de vouloir forcer les Japonais à prendre leurs congés payés.
Même si les mentalités semblent être en train de changer également dans ce domaine notamment grâce à l’internationalisation du pays et l’émergence des entreprises de type start-up, le salary man et l’office lady sont toujours le modèle standard du salarié japonais en open-space.
Pour conclure, voici un témoignage en anglais détaillé de l'expérience d'un étranger dans le monde du travail japonais et de la création mouvementée de son entreprise.
Édito
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