Gaijin Café #02 - Chronique zoologique : le gaijin
Pour inaugurer la partie culturelle de notre Gaijin Cafe, DozoDomo s’attaque à du lourd puisque l’on va démystifier une des légendes urbaines les plus dense et tenace lorsqu’il s’agit du Japon et de ses relations avec l’étranger : le gaijin. Utilisé à foison et de plus en plus au travers des années, ce terme provient directement des japonais qui désignent ainsi toutes personnes de nationalités autres que japonaise. Désormais, les étrangers aussi l’utilisent pour se désigner eux-mêmes mais il a également pris de nouvelles significations à travers le temps jusqu’à être qualifié de racisme pur par beaucoup de personnes.
Un peu d’étymologie
Quand on parle d’une langue dont l’écriture contient des sinogrammes, impossible de faire l’impasse sur ceux-ci lorsque l’on veut comprendre le sens d’une expression ou d’un mot. Le mot gaijin est la retranscription des kanji 外人, dont la signification littérale serait «personne de l’extérieur».
Arrivés là, il y a déjà deux postulats de base différents. D’un côté il y a l’interprétation « positive » : le terme viendrait de la contraction, tant aimée des japonais, de l’expression 外国人 (gaikokujin) qui signifierait « personne étrangère » au sens de « venant d’un pays étranger ».
L’autre pourrait être qualifiée de beaucoup moins positive, gaijin venant de 外人 , il est porteur d’une signification beaucoup plus ambigue relative à des notions culturelles profondes chez les japonais : uchi (内) et soto (外). Uchi réfère au groupe intérieur, inclusif et en opposition soto au groupe extérieur. La difficulté qu’ont beaucoup de non-japonais à comprendre cette notion provient du fait qu’elle est évolutive et s’adapte à différentes situations : la famille, la classe d’école, la section dans laquelle vous travaillez au bureau ou encore les japonais en tant que peuple sont autant de groupes pour lesquels on peut utiliser uchi.
Comme vous l’avez déjà compris, dans le cas présent le soto (外) de gaijin (外人) est un terme exclusif envers les étrangers. Il constitue un groupe, les japonais, face à un autre groupe, les non-japonais. Bien que non empreint d’une quelconque notion de racisme ou même d'une mauvaise intention, et bien au contraire puisqu’on touche là à la base de la politesse au Japon, le terme a évolué dans l’inconscient collectif pour représenter aujourd’hui une haine raciale dont l’existence est discutable.
Des bruits qui courent…
Avant même de partir au Japon pour la première fois, je connaissais le mot gaijin. Et il est bien malheureux de savoir que ce mot arrive jusqu’à notre pays avec tout le sous-entendu négatif qu’il porte en lui. On entend plus ce terme pour parler de la xénophobie ou du racisme que l’on peut rencontrer au Japon plutôt que pour sa signification primaire. De manière globale, lorsque j’entendais le terme en France, il était en permanence cité pour marquer cette différence étranger/japonais, et d’un point de vue négatif envers les étrangers.
Le mot permet surtout de cristalliser des légendes urbaines assez répandues : les japonais ne veulent pas voir d’étrangers s’installer sur leurs îles, ils acceptent les touristes mais ça s’arrête là, d’ailleurs ils haïssent les étrangers de manière globale à cause de la Seconde Guerre Mondiale, et puis de toute façon à part nous piquer notre culture ils ne veulent pas grande chose de nous. On peut évidemment émettre un gros doute quant à la véracité de ses propos mais les entendre de la bouche de français ou d’américains qui habitent au Japon m’avait toujours un peu fait tirer la grimace.
Le paroxysme de cette propagande a été atteint en 2011 après le tsunami engendré par le tremblement de terre qui a lourdement touché la région du Fukushima mais aussi le Japon tout entier. Quelques jours après la catastrophe, un nouveau terme a fleuri sur les lèvres : flyjin. Il désignait tout simplement les gaijin qui rentraient au pays par peur, par prévention, sous pression de leur famille ou de leur gouvernement. Je pense que le caractère négatif ou positif du terme est assez clair : beaucoup de japonais se sont sentis trahis par ces étrangers qui disaient vouloir s’intégrer mais partaient à la première épreuve et d’autre part il y avait des étrangers qui étaient fiers de rester et désiraient bien marquer leur différence.
...et de ce qu’on constate.
Bien loin de partir avec un préjugé de la taille d’une pastèque, je suis quand même partie au Japon avec ces idées en tête, ne serait-ce qu’avec l’envie de les vérifier. Et j’ai bien vite constaté que ça n’était même pas proche de la vérité.
Oui, il existe des japonais xénophobes (mais des français aussi, en passant).
Oui, une certaine génération a du ressenti pour les américains lié à la Seconde Guerre Mondiale et prend tout ce qui ressemble à un occidental pour un américain.
Et oui, certains japonais ne font aucun effort pour comprendre votre japonais, ou vous parlent en anglais même si vous savez parler leur langue.
Mais même en province, ce sont des franges minimes de la population. Et ce ne sont pas des situations qui se rencontrent quotidiennement. De plus, à chaque fois que l’on entend le mot gaijin prononcé par un japonais il est rarement empreint de ses sentiments négatifs précités mais c’est souvent quand on entend des étrangers le prononcer qu’on ressent une pointe d’enclavement.
Le point de vue des concernés
Force est de constater que les étrangers s’appellent gaijin entre eux, et que ce mot est très pratique et précis pour désigner les non-japonais lorsque l’on parle à des personnes d’autres nationalités. La culture associée à ce mot est également forte puisqu’il existe aussi des « gaijin bars » où l’on se retrouve, ou bien où les japonais recherchent la présence d’étrangers pour exercer leur anglais ou simplement s’ouvrir à d’autres cultures.
Au quotidien et au Japon, le côté négatif associé à ce mot se ressent plus ou moins fort selon les situations mais il est amusant de voir que c’est plutôt en dehors des frontières qu’il s’exprime le plus. Il permet donc de limiter rapidement grâce au vocabulaire les étrangers vivant au Japon des japonais sans pour autant enclaver les uns ou les autres.
De manière encore plus drôle, on peut entendre certains gaijin critiquer les autres gaijin avec une haine incommensurable car ils ne sont pas assez « adaptés », trop « otaku » ou au contraire trop « japonisés ». Ou d’autres qui vivent au Japon mais passent leur temps à critiquer les japonais, leur culture et leur langue trop compliquée à leur goût. Dans ce cas précis le mot gaijin leur sert à enclaver les japonais en opposition à eux-mêmes.
Le gaijin est donc loin d’être une bête féroce et agressive dans l’imaginaire japonais. Ce mot recouvre une multitude de significations, de sous-entendus et d’utilisations qui diffère de tout un chacun. Le but de cet exposé était avant tout et surtout de vous montrer que ce n’est pas une insulte, et que comme tous les mots de toutes les langues, il demande un contexte, une intonation et une signification que chaque locuteur veut bien lui accorder. Le gaijin, c’est la personne qui n’est pas de nationalité japonaise. Point.
Édito
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