Cinéma

"L'Imaginaire" de Yoshiyuki Momose : la magie bien trop terne du Studio Ponoc (Netflix)

Un voyage féerique qui se perd vite en chemin
mardi 9 juillet 2024
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En 2015, le Studio Ponoc a vu le jour, créé par d'anciens collaborateurs du Studio Ghibli, avec la volonté de préserver l'animation traditionnelle dessinée à la main. Le nom "Ponoc", signifiant "minuit" en serbo-croate, incarne l'idée d'un nouveau départ et l'espoir de perpétuer cet art délaissé par une grande partie de l'industrie au profit du numérique.

Le royaume des rêves et de la folie

"Mary et la Fleur de la Sorcière", premier long-métrage du studio sorti en 2017, s'inscrit indéniablement dans la lignée esthétique et technique des chefs-d'œuvre du mythique studio fondé par Hayao Miyazaki et Isao Takahata. On y retrouve les paysages luxuriants et l'attention méticuleuse portée aux détails. L'animation, fluide et expressive, témoigne sans conteste d'un savoir-faire artisanal remarquable. Pourtant, malgré ses qualités techniques indéniables, le film de Hiromasa Yonebayashi peine à convaincre pleinement. Il manque à ce film une profondeur narrative et des personnages mémorables, ne parvenant pas à susciter cette étincelle qui marque les esprits, ce sentiment d'émerveillement et d'enchantement qui perdure après le visionnage.

Cela dit, ce premier long-métrage était une promesse optimiste quant à la capacité du Studio Ponoc à produire un travail de grande qualité (loin de moi l'idée de le réduire à une simple démonstration de faisabilité, mais...). Il laissait entrevoir des perspectives intéressantes et un bel avenir, à condition que Yoshiaki Nishimura et son collectif de talents parviennent à s'émanciper de l’ombre tutélaire de Hayao Miyazaki et à développer une identité artistique propre, en explorant de nouveaux horizons, tant sur le plan narratif qu'esthétique.

Sept ans plus tard, la promesse d'un renouveau tarde à se concrétiser. D'une part, Hayao Miyazaki, sorti de sa retraite, demeure la figure dominante dans le monde de l'animation : "Le Garçon et le héron" confirme son statut de maître incontesté. D'autre part, le second long-métrage du studio Ponoc, "L'Imaginaire" de Yoshiyuki Momose (ancien animateur clé chez Ghibli), bien qu'encore plus éblouissant visuellement que son prédécesseur, souffre des mêmes faiblesses : une narration superficielle et des personnages sans reliefs. Cette situation soulève des interrogations quant à la capacité du studio à produire des films qui, au-delà de leur esthétique remarquable, parviennent à raconter des histoires captivantes et marquantes.

« A-t-on jamais vu quelque chose de si beau ? Moi, oui ! »

"L'Imaginaire", adaptation du roman pour enfants d'A.F. Harrold, nous entraîne dès les premières images dans un univers enchanteur où Amanda et Rudger partagent une amitié extraordinaire. Ils passent leurs journées à jouer ensemble et s'évadent dans des royaumes fantastiques, fruits de l'imagination débordante de la jeune fille. Leur complicité semble inébranlable, même si Rudger reste invisible aux yeux des autres.

Châteaux de cristal scintillants, baleines majestueuses volant dans les cieux, yéti géant jouant du banjo... une explosion de couleurs qui nous transporte dans un monde merveilleux où tout semble possible, même une subtile intrication entre le réel et l'imaginaire (J’y ai bien cru avec l’eau sur le sol de la maison alors qu’Amanda et Rudger se baladent dans un monde de glace).

"L'Imaginaire" mise sur une profusion d'éléments visuels pour émerveiller, mais après une première partie prometteuse, il prend un tournant inattendu qui laisse le spectateur déconcerté. Même l'animation exceptionnelle ne parvient pas à masquer les faiblesses d'un scénario qui devient alors déstabilisant et incohérent.

Monstres et Compagnie

Le petit monde d'Amanda et Rudger bascule le jour où ils croisent la route de Monsieur Bunting, un étrange personnage aux intentions troubles. Lui est capable d’apercevoir Rudger et ses desseins sont tout aussi inquiétants que son mauvais gout pour les chemises hawaïennes. D'autant qu'il est accompagné d'une fille fantomatique aux cheveux longs, ressemblant étrangement à l'esprit vengeur Sadako.

En tentant de protéger son ami, Amanda est victime d'un accident qui la plonge dans le coma. Isolé, Rudger découvre alors un danger encore plus grand : il commence à s'effacer peu à peu, un sort funeste qui menace tous les amis imaginaires oubliés.

L'histoire centrée sur Amanda, aurait pu aborder des thèmes intéressants tels que le deuil, l'amitié et le pouvoir de l'imagination. Malheureusement, ils ne sont qu'effleurés, jamais véritablement explorés. "L'Imaginaire" n’est pas l’histoire d’Amanda. Ce n’est pas l’histoire extraordinaire d’une jeune fille qui a créé un ami imaginaire pour surmonter la perte de son père et les problèmes de communication avec sa mère.

Non. Le protagoniste principal est bel et bien Rudger. Le titre japonais du film, "Rudger dans le grenier" (屋根裏のラジャー), souligne d'ailleurs cette focalisation.

Le film va alors utiliser la séparation entre Amanda et Rudger pour tenter, avec plus ou moins de succès, d'explorer de nouvelles thématiques. Le petit garçon blond va rencontrer d'autres "imaginaires", tous plus farfelus les uns que les autres, et qui attendent, dans une bibliothèque extra-dimensionnelle, de trouver un nouvel enfant solitaire à divertir. Il va découvrir la véritable vocation des amis imaginaires et ce qu'il advient d'eux lorsqu'ils sont oubliés.

Cette partie du film abandonne toute intrigue pour se concentrer sur l'exposition de règles qui régissent leur existence, suggérant même que ces êtres pourraient réapparaître dans les rêves d'autres enfants, voire renaître sous une nouvelle forme pour combler un vide mutuel. "L'Imaginaire" déborde d'idées originales qui pourraient inspirer, être célébrées et divertir les jeunes enfants dans d'autres films. Mais cette mythologie, bien qu'intéressante, est surchargée, déconnectée et nuit à la fluidité du récit. Quoi qu'il en soit, nous découvrons que Beethoven avait lui aussi un ami imaginaire. Et ça… Voilà. Voilà.

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé

Les rencontres et les péripéties s'enchaînent sans véritablement développer les personnages ni leurs motivations, empêchant ainsi une connexion émotionnelle et c'est tout le problème de ce film. "L'Imaginaire" se contente de « balancer » des idées, sans prendre le temps de les développer un minimum et de les relier entre elles de manière cohérente. C'est un beau feu d'artifice dont les étincelles se sont éteintes trop rapidement (à la 30ème minute et le coma d'Amanda), laissant derrière elles un sentiment d'inachevé.

Dans ce chaos narratif, les personnages principaux, y compris Rudger, manquent de profondeur et ne parviennent pas à guider le spectateur. Le film se contente de les esquisser à grands traits, sans leur donner la substance nécessaire pour les rendre attachants, encore moins inspirant. Les personnages secondaires, quant à eux, peinent à susciter le moindre intérêt. Monsieur Bunting, est un exemple frappant de cette superficialité. Sans véritable arc narratif ni développement psychologique, on ne comprend pas vraiment son histoire et ses aspirations, ce qui l'empêche de devenir un antagoniste mémorable.

Les adultes ayant grandi avec les chefs-d'œuvre du Studio Ghibli s'ennuient, et ils ne peuvent s'empêcher de penser que le Studio Ponoc a le potentiel de faire mieux. Tellement mieux.

Cet "imaginaire" manque cruellement de résonance émotionnelle. Il cible indéniablement un jeune public qui ne demande pas plusieurs niveaux de lecture. Le film offre un spectacle coloré et enchanteur, qui saura sans aucun doute captiver l'attention des enfants du même âge que les protagonistes. Ils passeront un bon moment devant mais il est peu probable qu'ils en gardent un souvenir impérissable. En ce qui concerne le message ou la morale potentielle du film, ils sont malheureusement insuffisants. Quant à vouloir le revoir dans quelques années... Une fois le générique de fin commencé, le film risque de tomber rapidement dans l'oubli.

En parlant de fin… Le choix de "Nothing's Impossible" par A Great Big World et Rachel Platten, est une véritable déception. Même si j’aurais aimé découvrir un titre japonais, le problème ne réside pas tant dans l'anglais (Par exemple, le titre interprété par Cécile Corbel pour "Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs" est plutôt mémorable, même dans les versions internationales), mais plutôt dans le manque d'impact émotionnel de la chanson elle-même. Elle ne parvient même pas à offrir une conclusion un tant soit peu satisfaisante.

"L'Imaginaire" de Yoshiyuki Momose est disponible (avec des doublages et des sous-titres en français et en japonais) en streaming sur Netflix.

  • publié le mardi 9 juillet 2024, 7:51 (JST)
    Dernière modification le mardi 16 juillet 2024, 4:18 (JST)
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  • CatégorieCinéma
    Photo(s)/image(s)Studio Ponoc/Netflix
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