Manga

Rencontre avec Jean-Paul Nishi autour de son dernier manga et de sa vision de la France

jeudi 1 juin 2017

Jean-Paul Nishi était en France à l'occasion du Salon du livre de Paris et pour la sortie de son dernier manga A nos amours, publié chez Kana. Lors de notre rencontre, nous avons parlé avec lui de sa vision de la France et des Français, mais aussi son dernier ouvrage.

En 2012, vous étiez l’un des invités officiels du Salon du Livre de Paris 2012, où vous avez côtoyé quelques sommités des Lettres Japonaises contemporaines, dont le Prix Nobel de Littérature Ôe Kenzaburô. Vous avez raconté votre visite en manga et vous disiez alors : pour moi Paris c'est métro, café, kebab, SDF. Est-ce toujours le cas ?

Bien sûr, c'est la même chose. Pour moi, l'image de Paris n'a pas changé, c'est toujours le métro, les cafés et les kebabs et il n'y a pas de raisons que ça change.

Cette fois comment êtes-vous venu depuis l'aéroport : taxi ou métro ?

Cette fois je suis venu en métro. On a loué un appartement qui est à 12 mn par la ligne 12 et qui est direct. Donc il n'y a pas de raison de prendre autre chose que le métro, d'autant que prendre le taxi, c'est compliqué pour moi, parce qu'il faut parler français et que je ne veux pas parler, je n'y arrive pas. D'autre part, je n'ai sur moi qu'un billet de 100 euros et j'ai peur de me faire jeter. Du coup, je préfère le métro.

Finalement, vous voyagez comme la majorité des Français à Paris…

Ce n'est pas sûr, parce que si c'était un Français et que le taxi lui était remboursé, il choisirait le taxi à la place du métro. Mais moi j'aime le métro, donc je le prends. Là, je l'ai pris et ce qui m'a vraiment choqué, c'est la vétusté des rames. Elles n'ont pas changé depuis que je les ai prises en 2005. Du coup, à la fois je les aime bien parce que ça me rappelle cette période, les amis de l’époque... et d'un autre côté je trouve ça un peu triste parce que vraiment les sièges sont dans un état minable. Tous les fils sortent des sièges, c'est d'une tristesse à pleurer parfois.

Vos premiers mangas racontent vos premiers voyages en France. Quelle sont les raisons qui vous ont poussé à venir, la première fois ?

Je suis tombé sur des bandes dessinées françaises et pour moi cela a été un choc visuel sur cette façon de dessiner, cette créativité, et ça m'a donc donné envie de découvrir cette bande dessinée. Parallèlement, je n'avais pas forcément beaucoup de travail au Japon, et je me suis donc dit que c'était l'occasion de partir à l'étranger et de voir ce qu'ils faisaient, et de pouvoir peut-être par la suite travailler davantage.

Qu’est-ce qui vous plaît dans la BD franco-belge ?

C'est la qualité des dessins dans lesquels on perçoit immédiatement le temps et la minutie que ça a pu exiger. Derrière, on voit que c'est une façon de penser qui est presque l'opposé de celle du manga où on privilégie plus l'histoire à la qualité du dessin. C'est quelque chose qui m'a vraiment marqué, d'autant que je ne comprends pas l'histoire puisque je ne peux pas lire les bulles en français. Donc ce n'est pas ça qui m'intéressait mais la qualité du dessin.

Est-ce que vous avez rencontré des auteurs de BD franco-belge qui vous ont marqué durant vos séjours ?

J'en ai rencontré plusieurs mais j'ai sympathisé plus particulièrement avec deux d'entre eux. Nicolas Nemiri, qui doit être maintenant installé en Chine, et Benjamin Reiss qui a fait Tokyo Land. Dans le même temps je me suis rendu compte que la façon de penser des dessinateurs français et japonais était très différente.

En quoi ?

Ce sont sans doute la façon de travailler et le rythme de travail qui font que ce sont des façons de penser différente. Peut-être que les dessinateurs de bande dessinée sont plus joyeux, plus lumineux. Les dessinateurs japonais sont tellement pris dans leur travail, harassés, que cela leur donne un état d'esprit un peu différent.

Travaillez-vous sur ordinateur ou en analogique ?

Au départ je travaillais en analogique, mais maintenant c'est 80-20. Tout le travail de script et de dessin se fait essentiellement à la main, c'est uniquement le passage des trames, des niveaux de gris et de noir, qui est fait à l'ordinateur après avoir scanné les dessins.

A nos amours (© Jean-Paul Nishi / Nishimura Taku / Shodensha / Kana)

Dans son dernier manga, A nos amours, il raconte sa rencontre avec sa future épouse Karyn et leur vie au quotidien. Avec beaucoup d’humour et d’autodérision, Jean-Paul Nishi dépeint la vie de couple, le mariage, la grossesse, la naissance du bébé et les anecdotes des mois passés à s’occuper du nourrisson à la maison, pendant que sa femme part travailler. Jean-Paul Nishi aborde aussi toutes ces petites différences culturelles et normes sociales françaises qui étonnent, voire déstabilisent les japonais et vice-versa.

Les différences entre les Français et les Japonais sont au centre de vos histoires. Pour vous, quels sont les grands clichés que les Japonais ont sur les Français ?

Pour les Japonais, les Français sont d'abord représentés par l'image de Paris, l'image telle qu'elle est véhiculée par les magasins japonais. C'est l'image de l'élégance, de la mode et de la gastronomie. C'est une très bonne image de Paris qui est véhiculée. Et puis l'image de gens imbus d'eux-mêmes. C'est vraiment ce qui est ancré dans l'esprit des Japonais par rapport aux Français, mais c'est assurément très, très positif.

Que se passe-t-il lorsque vous croisez des Français qui ne correspondent pas à cette image ?

Ca peut donner l'effet inverse et devenir extrêmement négatif. Quand les Français font des caricatures sur l'accident de Fukushima, et que ça peut être extrêmement condescendant vis-à-vis du Japon, en ayant l'air de dire "nous, les Français, on va vous apprendre à vous, les Japonais", la réaction peut être extrêmement négative, en se disant "mais ces Français, pour qui se prennent-ils ?". Du coup, on peut passer de tout l'un à tout l'autre sur des faits qui ne sont pas forcément en rapport avec l'image d'élégance.

Avez-vous ce sentiment avec d'autres nationalités ?

En fait, au Japon on fait une espèce de tout avec un mot qui signifie l'Europe plus les Etats-Unis, « les occidentaux » en gros. On met tout ça dans un même bloc et on a tendance à considérer que cela forme un tout, mais j'ai un peu l'impression quand même que ces dernières années la France s'est détachée particulièrement. Avec l'accident de Fukushima, elle s'est particulièrement illustrée par des propos un peu condescendants ou négatifs. D'une certaine manière, elle se détache donc de cet ensemble.

Dans A nos amours, vous semblez avoir plus de mal à communiquer avec les femmes qu’avec les hommes. Ça tient à quoi selon vous ?

Je pense que ça a changé, pour la bonne raison que maintenant je suis marié. J'ai pris de l’âge et pour moi le jeu de la séduction vis-à-vis des jeunes filles s'est terminé. Au Japon, on considère qu'à partir du moment où l’on est marié, ce jeu-là s'arrête, ce n'est plus la peine. En plus maintenant je suis vu comme un vieux par les jeunes, un vieux qui sent mauvais, qui n'inspire pas vraiment des sentiments de séduction.

Pourquoi avoir décidé de faire un manga sur votre vie personnelle ? Le projet a-t-il été accepté facilement par les éditeurs ?

Ce n'est pas vraiment moi qui ai proposé ce concept-là à l'origine, c'est plutôt l'éditeur qui m'a dit "il faut réfléchir à quelque chose d'autre". On a beaucoup discuté pendant un an, et puis l'éditeur a fini par dire "mets plein de choses sur la table, on va regarder et après on verra ce qu'on en fait, comment on dégage un thème de tout ça". On en est donc arrivé au concept d'A nos amours, qui regroupe deux thèmes principaux : la vie d'un Japonais avec une Française, et l'éducation d'un enfant dans ce cadre-là. Donc c'est plutôt un dialogue avec l'éditeur qui a permis d'en arriver à ce concept.

Comment ce titre a-t-il été reçu au Japon ?

Il y a deux types de réactions. La première émane des femmes japonaises qui ont un peu le sentiment de manquer de liberté dans leur statut, et qui du coup voient l'héroïne féminine du manga comme un personnage intéressant, attractif, du fait qu'il est plus libre de faire certaines choses. Il y a une espèce d'envie d'être pareil. La deuxième réaction est celle des jeunes parents qui partagent beaucoup de choses qui sont dans le manga vis-à-vis de l'éducation des enfants et qui sont intéressés de voir si c'est pareil que pour eux.

Y-a-t-il de grosses différence dans l'éducation des enfants entre vous ?

Je ne connais pas la façon d'éduquer les enfants en France, mais au moins il y a deux grandes différences que je perçois : dans la façon de faire prendre le bain (au Japon les parents prennent le bain avec les enfants), et dans la façon de coucher les enfants (au Japon, l'enfant dort dans la chambre des parents ou avec la mère sur un futon).

Dans A nos amours, vous parlez du regard des autres vis-à-vis de votre couple mixte. Comment le vivez-vous ?

Au début, quand on a vu que ma femme était française, on s'est demandé un peu comment cela allait se passer, et puis les choses se sont simplifiées à partir du moment où les gens ont compris que Karyn parlait le japonais et avait une connaissance de la culture japonaise. De ce fait-là, notre couple fonctionne plutôt bien. Mais les deux éléments majeurs sont de parler japonais et d'en comprendre la culture.

Dans à nos amours vous racontez que votre fils parle mieux français que vous ? Est-ce toujours le cas et comment le vivez-vous, est-ce que cela vous gêne ?

Oui, mais j'ai fini par me dire - comme me l'a dit mon professeur de français - que finalement mon fils est mon petit professeur. Donc, si c'est comme ça, après tout, ce n'est peut-être pas si mal, et lui ça le rend fier de dire qu'il enseigne à son père. Donc, du coup, allons-y comme ça.

Merci !

Merci aux éditions Kana et plus particulièrement à Stéphanie Nunez pour l’organisation de la rencontre, et à Karyn Nishimura Poupée pour la traduction.

Interview réalisée en partenariat avec Nicolas Demay (PlanèteBD).

  • publié le jeudi 1 juin 2017, 10:00 (JST)
    Dernière modification le vendredi 12 mai 2023, 0:24 (JST)
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