Point de vue

Le syndrome de Marco Polo: Quand les occidentaux ne veulent pas d'étrangers au Japon

Tu aimeras ton prochain comme toi-même...
samedi 4 juillet 2020

«Pourquoi tant d'expatriés blancs deviennent-ils nationalistes japonais ? Beaucoup deviennent racistes contre les Chinois, les Coréens et les Sud-Asiatiques - et rassemblent des sentiments anti-immigrés en général. J'ai l'impression que le Japon attire les pires expatriés occidentaux.»

C'est par ces quelques lignes qu'est né un débat qui a agité un forum internet lié au Japon cette semaine.

Cette question faisait suite à un tweet partagé plus de 1000 fois, écrit par Callem Aronsen, un jeune homme néo-zélandais, qui affirme voyager régulièrement au Japon et qui réagissait à une photo d'escalator d'une station de Tokyo sur laquelle se trouve une traduction en coréen de la phrase «Merci de tenir la rampe». Callem écrit que «le Japon est pour la culture japonaise (sic). Ne laissez pas d'autres cultures s'installer au Japon. À défaut de coréen, une traduction anglaise eut été plus appropriée», termine-t-il.

https://twitter.com/CallemAronsen/status/1277394128498651142?s=20

Le sujet mérite clairement d'être abordé car, en dix ans au Japon, nous avons personnellement été les témoins de nombreux dérapages sur nos réseaux sociaux, et également sur place ou de nombreux occidentaux ont déjà fait preuve d'intolérance à l'égard de ceux qu'ils appellent «étrangers» au Japon, oubliant au passage qu'ils en faisaient partie.

Les étrangers au Japon représentent 2,25% de la population estimée à 126,5 millions d'habitants. En 2019, ils étaient 2,829,416 à être résidents dans le pays. Parmi eux, un quart viennent de Chine et 15% de Corée du Sud. La troisième communauté la plus présente vient du Vietnam (13%).

Comme dans toutes les communautés, il y a du bon et du moins bon, mais pour une raison qui nous échappe, il y a chez une grande proportion des passionnés du Japon, une sorte d'exclusivité obsessionnelle qui leur ôte une grande partie de leur discernement. Oscar Wilde disait : «La passion emprisonne la pensée dans un cercle.» Aimer le Japon, c'est reconnaitre ses qualités, nombreuses, mais aussi ses défauts tout aussi importants. C'est aussi accepter de le partager. Mais pour en avoir connaissance, encore faut-il y vivre au quotidien. Idéaliser un pays sans le connaitre en profondeur n'a pas lieu d'être.

Les touristes pour qui un voyage au Japon représente le rêve d'une vie ou tout simplement une jolie découverte ne rentrent pas dans cette catégorie de béni-oui-oui. Ceux qui quittent leur pays pour s'y installer, le plus souvent sans aucune certitude, ont parfois un autre rêve démesuré, celui de devenir plus japonais qu'un Japonais. Ils marieront une femme ou un homme japonais, comme l’extrême majorité des blogueurs par exemple, penseront être les seuls à avoir les clés pour décrypter cette société, et comme ils l'écrivent tous, offriront à leur public un autre regard sur le Japon.

Certains d'entre eux le crient sur leur site, le tweetent, le Japon, c'était mieux avant, quand il n'y avait pas tous ces étrangers. D'autres vont plus loin et rejoignent les rangs des manifestations d'extrême-droite et vocifèrent leur haine des Chinois et des Coréens aux côtés de fervents nationalistes japonais, en allant jusqu'à proférer des propos négationnistes. D'autres encore ont des crises d'urticaire à la simple vue d'un caucasien et n'espèrent qu'une chose, que l'essaim colonisateur de leurs semblables ne pollinise pas leur jardin d'Eden.

Ce phénomène, on pourrait le décrire comme le syndrome de Marco Polo. Lorsque le navigateur vénitien est arrivé en Asie au 13e siècle, il n’était pas le premier Européen à se rendre à la cour de l'empereur mongol, mais il sera bien le premier à raconter les réalités de ces cultures lointaines et à mentionner l'existence du Japon en Europe.

Marco Polo (1254-1324)

De nos jours, beaucoup viennent au Japon et découvrent une reconnaissance à laquelle ils ne sont pas habitués, surtout les hommes. Une attention particulière due la plupart du temps à leur simple origine occidentale, une impression d’avoir trouvé l'eldorado et d'une certaine façon de l’or dans leurs mains. Être anti-immigrant, c'est pour eux l'unique moyen de préserver ce qu'ils considèrent comme leur pré carré, leur identité de denrée rare, d'appellation d'origine protégée. Lorsque vous n'avez aucune valeur et que vous êtes membre d'une minorité, in fine, cannibaliser les autres étrangers pour protéger vos propres intérêts est la seule échappatoire.

Le tragédien grec Euripide l'écrivait déjà durant l'Antiquité : «Si la querelle naît entre deux frères, la lutte entre eux est bien plus âpre qu'entre des étrangers.»

Et lorsque ces frères sont tous deux étrangers, la lutte n'en est que plus impitoyable.

  • publié le samedi 4 juillet 2020, 9:00 (JST)
    Dernière modification le dimanche 31 janvier 2021, 4:00 (JST)
    Cet article a été publié il y a plus de 365 jours. Les informations présentées peuvent ne plus être pertinentes.
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    1. Je ne suis pas entièrement d’accord avec cette analyse, qui semble un peu trop simpliste...
      On oublie souvent que lorsque qu’on s’installe au Japon, on vit soi-même un racisme parfois très violent et insidieux. Que ce soit au travail, dans la rue, avec des amis ou dans le cadre amoureux, on reçoit énormément de remarques qui nous font comprendre que « nous serons toujours un étranger ». Et cela peut nous emmener à intégrer les normes sociétales japonaises, voire à vouloir devenir plus japonais que japonais, juste parce qu’on aimerait éventuellement pouvoir être perçu comme un semblable et non comme « un étranger ».
      Et c’est ce phénomène poussé à son paroxysme qui peut faire qu’un étranger au Japon devient raciste. On se force tellement soi-même à rentrer dans un moule, à appliquer les mêmes règles que les japonais (don’t be the nail that sticks out), que l’on devient très peu tolérant envers les étrangers qui eux perpétuent les clichés que l’on passe notre vie à se battre contre. On voudrait qu’ils ne soient pas là, car ils nous rappellent - à nous, et aux japonais - que nous somme finalement, des étrangers. Et plus ils sont nombreux, plus on a de chances de se faire assimiler à eux et de voir nos efforts d’assimilation dûrement menés pendant 5, 10, voire 20 ans, réduits à un pauvre « Nihongo jouzu ».
      Je ne cherche absolument pas à justifier ces comportements, mais je trouvais juste l’explication du « l’homme blanc aime recevoir de l’attention » un peu trop simple à mon goût.

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