Second unificateur du Japon. D'origines modestes, il atteint le pouvoir absolu sur l'ensemble du Japon en l'unifiant et en tentant de le pacifier.
Fascination pour le Pavillon d’Or de Kyōto
En plus d’être l’un des monuments les plus célèbres de Kyoto, le Pavillon d’Or, de son petit nom japonais Kinkaku-ji, a une histoire récente tout à fait singulière. Le fait même de dire qu’un monument a eu une « histoire » récente devrait mettre la puce à l’oreille de ceux qui ne savent pas ce qui s’est passé en juillet 1950 au Rokuonji.
A l’époque, l’événement avait consterné l’intégralité du Japon. Le Pavillon d’Or, trésor national et symbole plusieurs fois centenaire du raffinement de Kyoto, avait été dévoré par les flammes. Quand on visite un peu le Japon, on tombe souvent sur des panneaux qui indiquent que le temple ou le bâtiment qu’on est en train de regarder a brûlé dans un incendie (deux, trois, voire de multiples fois au cours de son histoire). Alors qu’est-ce que le Pavillon d’Or a de particulier dans tout ça ? Eh bien, celui-là a été la cible d’un incendie volontaire.
Epargné pendant cinq siècles par les incendies, les catastrophes naturelles, la guerre et les bombardements, cette petite merveille a été terrassée par la folie d’un des moines novices du temple Rokuonji. Les méditations silencieuses que suscitaient la beauté du pavillon ont alors laissé place à l’effarement d’une nation toute entière, aux tirages de presse scandalisés et à la publication d’un petit roman, écrit par un jeune auteur qui tenait là l’une de ses œuvres les plus importantes.
C’est à travers ce roman, sobrement intitulé Le Pavillon d’Or, que j’ai découvert l’histoire du Kinkaku-ji et du novice qui finit par le réduire en cendres. L’auteur, Yukio Mishima, dont l’histoire propre est elle aussi tout à fait singulière, s’est emparé de son sujet en partant des maigres retours sur l’affaire que la presse de l’époque a pu publier. En l’occurrence, l’auteur de l’incendie qui a emporté le Pavillon d’Or début juillet 1950 était un jeune moine novice du temple Rokuonji, dont le pavillon faisait partie, âgé de 21 ans et retrouvé par les autorités sur une colline des alentours. Il a admis avoir mis le feu au pavillon, et voulait brûler vif à l’intérieur, avant de s’enfuir en panique.
Arrivé au temple six ans plus tôt, le jeune homme semblait solitaire, perdu, dérangé. D’abord un novice prometteur, il devient au cours de son apprentissage un mauvais élève, un personnage exécrable. Le Prieur du Rokuonji avait finalement menacé de le mettre à la porte. C’est à ce moment-là qu’il aurait commencé à préparer concrètement son crime, courant juin. Il a dit avoir brûler le pavillon par « haine de la beauté », un motif qui en a consterné plus d’un. Le roman de Mishima est finalement l’histoire d’un fait divers, mais pas des moindres.
Avant d’arriver au Japon, j’avais sélectionné quelques livres reliés de près ou de loin à mes destinations pour en apprendre un peu plus pendant mon temps libre. Le Pavillon d’Or m’a profondément marquée, et ce pour plusieurs raisons. L’auteur, déjà, est un personnage singulier : écrivain prolifique et controversé, il se donne la mort par seppuku en 1970 après une prise d’otage ratée devant une audience de militaires consternés par un discours ultra-conservateur (je la fais courte mais ça vaut vraiment le coup d’aller en apprendre plus sur ce type). Je voulais avoir un aperçu de son œuvre et j’ai choisi ce livre pour son rapport avec Kyoto aussi bien que pour les éloges que j’en avais lu.
Le roman en lui-même est très bien écrit, c’est une véritable plongée dans la psyché dérangée du héros. Mais au-delà de ça, c’est aussi un témoignage poignant sur les drames du Japon d’après-guerre. Un thème est récurrent tout au long de la période où le Japon se retrouve sous le feu des bombardements américains : Kyoto va-t-elle, elle aussi, être prise pour cible ? J’imagine que la plupart des citadins japonais se posaient cette question, quel que soit l’endroit où ils habitaient. Le héros du roman, lui, souhaite désespérément qu’une bombe vienne s’abattre sur Kyoto pour y réduire le Pavillon d’Or, l’objet de tous ses démons, en poussière. Mais aucune bombe ne touchera jamais la ville.
Et pourtant, j’ai appris lors de ma visite au Musée du Mémorial de la Paix de Hiroshima que Kyoto faisait partie des potentielles cibles des Etats-Unis en vue du largage de la bombe atomique. Des documents administratifs froids, très impersonnels, citent côte-à-côte Hiroshima, Nagasaki mais aussi Kyoto, ainsi que d’autres villes moyennes, comme des cibles tout à fait envisageables pour devenir les victimes de ce monstre sans précédent qu’était alors la bombe A. Kyoto sera finalement laissée de côté car son usine d’armement était d’une taille assez peu inquiétante et que la topographie de Hiroshima se révèlera être optimale pour qu’un maximum de dommages y soient causés.
Le Pavillon d’Or décrit très bien cette appréhension, ce temps de latence, cette attente dans le doute et la peur, qu’on imagine rythmer les vies des Japonais pendant la guerre. On sent ce drame – qui n’aura pourtant pas lieu – peser de toute son écrasante menace sur la ville de Kyoto, et par extension sur chaque ville japonaise. Et un jour, la guerre s’arrête. Kyoto, par chance surtout, a été épargnée par les destructions venues des airs. Et pourtant, cinq ans plus tard, l’absurdité de la situation se révèle dans toute sa violence aux Japonais. Le Pavillon d’Or succombe, après avoir survécu à toutes ces périodes de destructions, à un jeune homme qui ne pouvait juste plus supporter tant de beauté.
En arrivant devant ce fameux Pavillon d’Or ce matin, j’ai difficilement pu m’imprégner de l’atmosphère dans laquelle ce jeune novice avait vécu au Rokuonji. Les choses ont bien changé depuis les années 1940. Les touristes ont pris les lieux d’assaut, bien plus que quand seuls les GI venaient déranger la quiétude des moines pour des visites d’hôtes privilégiés. On peut toutefois saisir un peu de ce que l’incendiaire voyait dans ce merveilleux exemple de légèreté et de raffinement à la japonaise. Le Pavillon d’Or actuel, tel un phœnix sorti des flammes, se dresse dans toute sa majesté sur les bords du petit étang où il se reflète. Et c’est un symbole dont la puissance silencieuse raconte ce Japon qui aura toujours su se relever des flammes et des destructions.
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