Si sa superficie globale n'est que de 377,962 km2, il s'étire sur plus de 2,800 kilomètres du nord au sud. A titre de comparaison, c'est comme si la France s'étalait de Dunkerque au milieu de l'Algérie, en plein Sahara.
« Mishima revisité », déconstruire le mythe pour retrouver l’écrivain
Pour le grand public, Yukio Mishima se résume souvent à sa fin : ce 25 novembre 1970 où, après une tentative de coup d'État manquée au quartier général des forces d'autodéfense, il se donne la mort de façon rituelle. Cet acte a figé l'auteur dans une posture tragique, nationaliste et martiale. C'est précisément ce que John Nathan, biographe de l'auteur, appelle le « problème Mishima » : pendant des décennies, nous avons eu tendance à lire ses romans à l'envers, en cherchant partout les signes avant-coureurs de son suicide, reléguant l'artiste au rang d'icône figée.
Dirigé par Gérard Siary, Toshio Takemoto et Thomas Garcin, ce volume de près de 600 pages propose de changer de lunettes. En réunissant des spécialistes internationaux, il offre une plongée dans les facettes méconnues de l'auteur, loin des clichés du guerrier stoïque.
Qui était vraiment Yukio Mishima ?
Né en 1925 sous le nom de Kimitake Hiraoka, Yukio Mishima n'est pas seulement « l'homme qui s'est suicidé ». C'est avant tout un prodige littéraire à la carrière fulgurante. Publié dès l'adolescence, il a construit en seulement deux décennies une œuvre monumentale : 40 romans, 18 pièces de théâtre, 20 recueils de nouvelles et autant d'essais.
Candidat pressenti pour le prix Nobel (finalement attribué à son mentor, Yasunari Kawabata), il a exploré avec une précision chirurgicale les tréfonds de l'âme japonaise, tiraillée entre une tradition impériale fantasmée et une modernité occidentale envahissante. De la confession intime de Confessions d'un masque à la fresque historique de La Mer de la fertilité, son style se distingue par une beauté baroque et une obsession pour l'alliance de l'érotisme et de la mort. Plus qu'un simple provocateur politique, il reste un styliste hors pair qui a transformé la langue japonaise elle-même.
Mishima, une passion française
Si Mishima est universel, la France entretient avec lui une relation passionnelle et privilégiée. Il est, avec Tanizaki Jun’ichirō, l'un des très rares écrivains japonais à avoir intégré de son vivant l'imaginaire littéraire français, jusqu'à recevoir la consécration ultime : être publié dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade.
Cette "canonisation" doit beaucoup à Marguerite Yourcenar. Son essai magistral, Mishima ou la Vision du vide (1981), a largement contribué à installer l'auteur dans le panthéon des lettres françaises, en offrant une lecture métaphysique de sa mort là où d'autres n'y voyaient qu'un fait divers politique. Mais cette reconnaissance a un revers : le public français a tellement adoré le Mishima "tragique" décrit par l'académicienne qu'il est peut-être passé à côté de son humour et de sa modernité pop. Ce livre collectif permet justement de rééquilibrer la balance, en nous rappelant que l'auteur du Pavillon d'or n'était pas seulement une statue de marbre, mais un écrivain bien vivant, ancré dans le fracas de son époque.
Un Mishima pop et ironique
C'est l'un des aspects les plus inattendus de cet essai : la mise en lumière d'un Mishima « pop ». Loin d'être un ermite déconnecté, il était une véritable star médiatique, parfaitement à l'aise dans la société de consommation des années 60. On y découvre son travail pour des magazines féminins, parodiant le courrier du cœur et les conseils matrimoniaux avec une ironie mordante.
Le livre revient également sur le regain d'intérêt pour Vie à vendre (Inochi urimasu), un roman mélangeant espionnage, mafia et femmes fatales. Cette œuvre relève du « pulp ». Ce terme, tiré de la « wood pulp » (la pâte à papier bon marché utilisée pour les magazines américains de consommation rapide), désigne une littérature de genre, sensationnaliste et sans prétention intellectuelle. Voir Mishima s'emparer de ce style est révélateur : cela marque un contraste violent avec son image sérieuse. Ici, l'auteur s'amuse, prouvant qu'il savait aussi être un redoutable créateur de divertissement, un peu à la manière d'un Tarantino littéraire avant l'heure.
La contre-attaque des femmes : Mishima parodié
L'ouvrage offre une perspective jubilatoire en analysant comment les écrivaines japonaises ont « digéré » l'icône Mishima. Loin de la vénération, des autrices comme Mori Mari (la fille de Mori Ōgai) se sont réapproprié son image avec une irrévérence savoureuse.
Dans ses écrits, Mori Mari inverse la domination masculine en traitant Mishima comme un « bel objet » à observer, critiquant ses chemises aloha et ses blousons de cuir qu'elle juge vulgaires. Plus audacieux encore, elle le transforme en personnage de fiction dans sa nouvelle Christmas Party, où il apparaît sous le nom de Majima Yoshiyuki. Ce pseudonyme est un masque transparent : en déformant légèrement les syllabes de son nom (« Mi-shi-ma Yu-ki-o » en « Ma-ji-ma Yo-shi-yu-ki »), elle crée une contrefaçon satirique, lui retirant son aura sacrée pour le réduire à un simple pantin mondain.
Ces autrices utilisent l'humour pour désamorcer le sérieux martial de l'écrivain. Elles le réduisent parfois à une figure de « Boys' Love » — ce genre populaire de mangas romantique entre hommes, écrit par des femmes pour des femmes. En l'objectifiant ainsi, elles déconstruisent son image virile et tragique par un regard féminin libre, qui refuse de se laisser intimider par la stature du « dernier samouraï ».
Faut-il oublier l'homme pour lire l'œuvre ?
Marcel Proust affirmait qu'un livre est le produit d'un autre "moi" que celui que nous manifestons dans nos habitudes. Alors, pourquoi s'acharner sur la biographie de Mishima ? Parce que dans son cas, la biographie a fini par dévorer l'œuvre. Le mythe du suicide agit comme un spoiler permanent qui nous force à lire ses romans comme une longue prophétie. Briser l'icône, c'est paradoxalement le seul moyen de rendre leur liberté aux textes.
Ce dense volume académique, accessible dans la collection Échos d'Asie, se lit comme une enquête vivante sur la culture japonaise post-guerre. Pas d'hagiographie : juste des contradictions éclairantes. Il incite à rouvrir Le Pavillon d'or ou La Mer de la fertilité pour leur style, non leur aura suicidaire. Pour les curieux de littérature nippone, Mishima revisité est une lecture salutaire pour remettre de l'humain au centre de l'icône.
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LivreRomancier, dramaturge, essayiste, mais aussi acteur, modèle, metteur en scène... De nombreuses facettes de l’artiste Mishima Yukio restent encore ignorées. Les textes réunis dans ce volume revisitent des ouvrages inédits ou méconnus de l’écrivain japonais, déchiffrent ses performances, analysent son style, interrogent enfin le contrôle que Mishima Yukio exerça sur son image publique. Mishima revisité renouvelle ainsi le regard que nous portons sur cet auteur et contribue à nous sortir du biographisme qui a longtemps figé son portrait. Mishima revient, plus vivant que jamais !
- ASIN : B0FPLHVV22
- Éditeur : Hermann
- Date de publication : 26 novembre 2025
- Langue : Français
- Nombre de pages de l'édition imprimée : 574 pages
- ISBN-13 : 979-1037044099
- Poids de l'article : 762 g
- Dimensions : 15.19 x 3.3 x 22.91 cm

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