Considérée comme la première femme écrivain professionnelle de la littérature moderne japonaise. Son portrait orne les billets de 5,000 yens.
Rencontre avec Mari Yamazaki et Tori Miki pour la sortie de leur manga Pline
A l'occasion de la sortie du manga Pline chez Casterman, nous avons rencontré Mari Yamazaki et Tori Miki. L'occasion de discuter avec eux de ce manga qui s’intéresse à la vie de Pline l’Ancien (23-79 après JC), célèbre scientifique naturaliste romain du Ier siècle à qui l’on doit l’encyclopédie Histoire naturelle, une encyclopédie en 37 volumes, présentée comme "un bilan du savoir de son époque, qui a traversé les siècles."
Pourquoi une telle fascination pour la Rome antique ?
Mari Yamazaki : J'ai fait des études d'art en Italie et par la suite j'ai un peu séjourné en Syrie où j'ai vu énormément de ruines datant de la Rome antique. A la vue de ces ruines, j'ai senti une sorte de proximité immédiate se créer avec le monde pourtant si lointain et qui n'existe plus aujourd'hui. Par ailleurs, je trouve de plus en plus de similitudes entre la Rome antique et le Japon.
Quelles similitudes entre la Rome antique et la Japon ?
Mari Yamazaki : Thermae Romae était un portrait comparé de la Rome antique et du Japon contemporain sous l'angle des bains. L'amour du bain, la culture du bain est un point commun très important entre la Rome antique et le Japon d'aujourd'hui. En résumé, ce sont deux cultures où on ne se baigne pas seulement pour se laver, mais on se baigne pour se détendre se relaxer. Ce sont deux civilisations où les croyances religieuses ne sont pas soumises à un monothéisme pur et ce sont deux terres qui sont soumises très régulièrement et de manière assez violente à des catastrophes naturelles.
Pourquoi considérez-vous Pline comme un mentor ?
Mari Yamazaki : Là où je peux considérer Pline l'ancien comme un mentor c'est en raison du regard qu'il porte sur le monde. C'est quelqu'un qui était mu par une curiosité insatiable, une soif véritablement inextinguible de connaissance. Par ailleurs, c'est quelqu'un qui observait de la même manière les phénomènes naturels, les hommes, les animaux, qui observait tout sur un même plan. C'est ça qui m'inspire.
Avez-vous utilisé une documentation particulière pour réaliser votre manga ?
Mari Yamazaki : Tori Miki et moi-même nous documentons énormément sur les ouvrages qui peuvent être japonais ou non, mais la source d'inspiration principale, celle qui est à l'origine de tout, au début de la conception de chaque chapitre, c'est le texte original de l'Histoire naturelle de Pline. C'est avec ça que tout commence. Je me base aussi sur les écrits de Sénèque ou de Suétone.
Tori Miki : Pour ce qui est du dessin, il s'agit de reproduire la Rome du Ier siècle, pas seulement la Rome Antique. Pour la ville de Rome et l'architecture, j'ai réuni beaucoup de documentation. Je me réfère aussi, avec beaucoup de réserve, aux nombreux films qui ont reproduit la ville de manière de plus en plus réaliste. Ce travail de documentation est chronophage, mais nécessaire. Au final, ce qui prime le plus c'est de laisser libre court à son imagination quand on passe au dessin, après s'être nourri de cette documentation.
L'Histoire naturelle comporte des milliers de pages. Comment avez-vous choisi ce que vous vouliez reprendre dans votre manga ?
Mari Yamazaki : Il est humainement impossible de lire l'Histoire naturelle de bout en bout. Je lis beaucoup l'histoire naturelle, mais pas tout. Je lis des morceaux, je choisis des pages et quand je tombe sur des éléments qui se trouvent correspondre à l'histoire du chapitre sur lequel je travaille en ce moment, ou sur lequel je compte travailler dans quelques chapitres, je les isole.
Tori Miki : Il y a aussi le schéma inverse où nous, auteurs, nous disons que dans tel chapitre on va parler de la mer. Et donc, on va dans l'histoire naturelle chercher tout ce que Pline a pu écrire sur la mer. L'histoire naturelle n'étant pas un roman mais une sorte d'encyclopédie, un dictionnaire gigantesque, c'est presque comme si c'était fait pour qu'on s'y réfère.
Vous parlez énormément de personnages historiques et notamment de Néron. Comment avez-vous fait pour délimiter le cadre de ce que vous vouliez raconter ?
Mari Yamazaki : Pour commencer avec le personnage de Pline l'ancien, il a existé mais il ne nous reste de lui que ses écrits. De lui, de sa vie personnelle, privée on ne sait absolument rien ou presque. Pour ce qui est de Néron, on a énormément de sources, énormément de chercheurs, d'auteurs, à toutes les époques, se sont penchés sur le personnage de Néron et ont produit des textes. L'information sur Néron a beau être extrêmement abondante, on remarque beaucoup de divergences d'opinion entre les différents auteurs qui consacrent leurs travaux à Néron. Donc au final, on ne sait pas non plus qui était vraiment Néron. Sur la base de tous ces textes, on va créer notre personnage de Néron à nous, celui qui donnera la réplique à Pline. Un de traits déterminants, tel qu'il apparaît dans Pline, c'est que c'est un homme, tel qu'on veut le décrire dans notre série, qui nourrissait des complexes très importants, assez aigus, au sujet d'hommes tels que Pline, qui étaient des puits de science, qui avaient une appétence pour la connaissance insatiable alors que lui pouvait se voir comme cet oiseau dans cette cage.
Quel message avez-vous transmettre à travers votre manga ?
Mari Yamazaki : Pour ma part, je considère qu'il est du devoir de tous les êtres humains de s'instruire. J'irai même jusqu'à considérer que la soif de connaissance, la curiosité, la volonté de s'instruire est quelque part instinctive chez l'être humain.
Vous avez tous les deux travaillé sur la partie graphique. Comment vous êtes-vous organisés ?
Tori Miki : Au fil des pages, il est devenu de plus en plus difficile voire impossible, et c'est ce qu'on souhaite pour les lecteurs, de deviner à qui il faut attribuer tel ou tel élément de décor, tel ou tel élément de dessin. Dans une certaine mesure, notre collaboration est une série parce que j'ai pu entendre des lecteurs, qui connaissent très bien mon œuvre en tant qu'auteur seul, qui ont pu ouvrir un livre de Pline, montrer un dessin et dire avec la plus grande conviction que celui-là était signé de Tori Miki alors qu'en fait non, c'était Mari Yamazaki. Là on estime qu'on a atteint notre objectif.
Tori Miki, Pline est très éloigné de vos oeuvres habituelles. Cela vous a-t-il demandé un temps d'adaptation ?
C'est vrai qu'un lecteur français qui regarderait Pline et Intermezzo ne penserait pas qu'ils sont de la même personne. Au Japon, c'est peut-être même encore plus flagrant puisque les lecteurs ont accès à un panel encore plus large des genres et des registres dans lesquels je peux œuvrer. Pour compléter le portrait de l'auteur que je suis au Japon, il y a certains extrêmes qui peuvent être Intermezzo à l'humour absurde, mais de manière générale, le gros de ma carrière on pourrait dire que c'est du manga normal. Il y a un de mes manga qui n'est pas publié en France, mais qui a pour scène l'antiquité japonaise. Aujourd'hui, j'envisage mon travail sur Pline de la même manière que j'ai dessiné ce manga au sens où il y a des dessins et des décors extrêmement poussés, extrêmement riches, extrêmement détaillés. Pour moi, dessiner Pline, arriver à dessiner et arriver à écrire avec Mari Yamazaki la série Pline n'a pas demandé une mue de ma part ou un changement. Mais il est vrai que c'est un domaine auquel je touchais pour la première fois, la Rome antique. Au début de la série j'ai énormément souffert.
A quelle moment vous êtes-vous intéressé à la Rome antique ?
Tori Miki : Mon premier contact avec la Rome antique remonte à l'enfance. Mon père m'a donné un livre un jour en me disant c'est le seul livre dont tu auras besoin pour ton instruction. Cela pourrait suffire amplement à faire toute ton éducation. Il s'agissait des Vies parallèles, de Plutarque. Quand j'étais enfant j'ai vu les films hollywoodiens à grand spectacle ce qui m'a marqué aussi. Il y en a encore plus aujourd'hui avec la généralisation des effets spéciaux. Donc, dans une certaine mesure j'avais une image, qui valait ce qu'elle valait, de la Rome antique. Mais, bien évidemment, pour ce qui est de la connaissance et du savoir je n'arrive pas à la cheville de Mari Yamazaki. Donc c'est elle, au fil de de notre collaboration m'apprend beaucoup de choses sur la Rome antique.
Tori Miki, dans le deuxième tome vous expliquez vous être livré à un petit jeu. Lequel ?
Tori Miki : La maison de Pline, son cabinet de travail, est rempli d'objets, d'artefacts, qui viennent de différents pays du monde. Dans un coin, de manière un petit peu malicieuse, j'ai dessiné quelque chose qui pourrait faire penser à Doraemon. Mais, il faut vraiment regarder de très près et très attentivement pour savoir où c'est. Et une autre blague que je me suis permise, c'est qu'il y a un prix au Japon qui s'appelle le prix Osamu Tezuka, qui est décerné chaque année à différent manga, et il y a un endroit où j'ai dessiné le trophée.
Merci à Mari Yamazaki et Tori Miki, à Wladimir Labaere pour la traduction, à Angèle et à Sarra Bekare pour la prise de son et le montage.
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