Auteur, écrivain, enseignant, traducteur, entrepreneur et théoricien politique japonais ayant créé l’université Keio, il est considéré comme l’un des fondateurs du Japon moderne. Son portrait illustre les billets de banque de 10,000 yens.
Critique: Une poignée de sable de Takuboku Ishikawa, poésie élégante et engagée
Déjà traduit par Alain Gouvret, Pascal Hervieu et Gérard Pfister (aux éditions Arfuyen), c'est donc une nouvelle traduction que nous propose Yves-Marie Allioux (Maître de Conférences HDR). Takuboku est un des poètes les plus connus du Japon, tel notre Rimbaud. Né en 1886, il mourra très jeune, en 1912, après avoir eu une existence relativement chaotique, mais Yves-Marie Allioux refuse, à juste titre, de l'enfermer dans le compartiment étroit des "poètes maudits".
Le poète explore tous les styles, les formes, les écoles littéraires, en expérimente et en délaisse. Il est publié en 1902 et commence à être connu, à l'âge de 17 ans, âge où il délaisse des études prometteuses. C'est cette renommée tôt forgée qui lui permettra de toujours trouver un emploi. Ses revenus sont modestes mais il dépense sans compter -exception faite qu'il savait à combien montaient ses dettes, incapable de se retenir. C'est d'ailleurs un des sujets développés dans Poésie à croquer.
Ce qui est triste
c'est qu'inlassablement attaché à mon égo
je sois un homme qui ne sache qu'en faire.
(p.18)
Si le début d'Une poignée de sable laisse à penser à de l'apitoiement narcissique, bien que parfois ironique, le ton évolue vers une critique du système (capitalisme, famille, classes sociales...). En effet, il est influencé par les courants politiques socialistes, anarchistes, communistes, très courants à l'époque, qui sont pourtant mal perçues et réprimées très sévèrement.
Avec sa couverture rouge usée par tant de mains
interdit par l’État
c'est ce livre qu'au fond d'une malle en osier je recherche aujourd'hui.
(p.155)
Les 551 tankas de ce recueil, publié en 1910, développent de nombreux thèmes tout à fait singuliers dans l'univers de la poésie, entre autres le "déclassement, l'insuccès, les problèmes conjugaux, métaphysique"... (p.185). Il est aussi influencé par le féminisme, critiquant la place des femmes dans la société et leur exploitation, mais également le laissez-faire de celles-ci, qu'il enrage de ne voir se défendre. Il sait aussi en dégager les traits les plus doux et admirables...
De cette femme qu'on nommait Koyakko
la délicatesse
du lobe de l'oreille ne sera pas non plus facile à oublier...
(p.119)
Les opprimés, les effacés, les sans-droit, les fragiles et miséreux, sont ceux qui ont son attention. Je cite le traducteur : "[C'est] une pensée altruiste, humaniste, dira-t-on, mais souvent aussi désespérée".
Sa vie quotidienne fera aussi l'objet de poèmes, où se mélangent rencontres, alcool et ivresse, mélancolie, douceur d'une nuit d'été... :
Tout comme sur un étang fleurit le lotus blanc
ma tristesse aussi
surnage clairement au milieu de l'ivresse.
(p.153)
Il serait trop long, trop ardu de décrire la richesse et la complexité de la poésie de Takuboku. Il a, de l'avis de plusieurs écrivains, révolutionné le tanka, marquant définitivement l'histoire de la littérature japonaise. Si vous souhaitez en apprendre un peu plus, Yves-Marie Allioux a la particularité délectable de proposer une étude de l'auteur et de l’œuvre en fin d'ouvrage, sobrement intitulée "Postface", il l'avait fait également pour les Poèmes de Nakahara Chuya 中原 中也 (Ed. Picquier, 2005). Je ne saurais que trop vous en recommander la lecture.
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On ne devrait pas plus avoir à présenter Ishikawa Takuboku (1886-1912) que Rimbaud, Pessoa ou Walt Whitman. Ce poète aura traversé, tel l’éclair, toutes les écoles littéraires de son temps, pour pousser au plus loin le renouvellement de cette forme poétique aussi ancienne que la littérature japonaise elle-même : le tanka, ou « chanson courte ». Avec humour et une infinie tendresse, il attache son regard sur les plus frêles, pauvres, prisonniers, enfants, vaincus du progrès, persécutés pour leurs idées. Sa désespérance rencontre celle de toute une génération perdue, en une époque, la fin de Meiji, d’industrialisation forcenée et de répression des idées sociales. Une vie trop brève, assombrie par les épreuves, que viennent éclairer la fraternité humaine, les paysages heureux de l’enfance, et ces menus événements, émotions, visions éblouies, que le poème restitue dans leur fugitif éclat. Comme on retient ces grains de sable qui nous filent entre les doigts, mais qui nous aident à vivre, malgré tout.
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