Avant de faire des jeux vidéo dans les années 1970 et rencontrer le succès mondial qu'on lui connait, Nintendo a vendu pendant près d'un siècle des cartes à jouer, les hanafuda. Composé de 12 séries de 4 cartes florales représentant chacune l'un des douze mois de l'année, le jeu était très populaire durant le Sakoku, époque où le Japon était totalement isolé du reste du monde. Ces cartes peuvent être utilisées pour jouer à différents jeux comme Koi-Koi ou Poka.
Critique: "Heaven", de Kawakami Mieko
Petit avertissement préalable : si vous avez été victime de harcèlement scolaire, et que vous n'êtes pas en paix avec cette partie de votre vie, ce livre sera sûrement une épreuve. Il peut être également libérateur, je parle en connaissance de cause.
Alors voilà. Le collège et son cortège d'êtres hyéniques hybrides entre enfants et adultes, dont la place dans le monde évolue à la fois trop lentement et trop vite. Nos héros sont encore jeunes, le narrateur observe et subit le monde du haut de ses quatorze ans. Une mère qui n'est pas sa mère, un père absent, une vie fade et silencieuse, où le collège est synonyme de souffrance. L'origine de ces brimades ? Il s'agirait de son fort strabisme...
Kojima, la jeune camarade avec qui il correspondra à l'initiative de cette dernière, est aussi une victime de "brimades". Elle, c'est parce qu'elle est sale : ses vêtements, ses chaussures, mais aussi son corps. C'est délibéré de sa part, c'est son "signe", comme elle aime le répéter. Elle aussi vient d'une famille décomposée/recomposée, un peu surprenante d'ailleurs.
Les deux jeunes gens vont donc s'écrire quotidiennement, subir toujours plus de souffrances, non sans réflexion vis-à-vis de leur situation, réflexion qui se confronte à la réalité sans répit ou presque, et qui les emmènera chacun à un dénouement différent. La découverte et la construction du soi dans une situation où le collectif vous rejette. À travers le rejet violent dont ils sont l'objet, ils vont se chercher, s'interroger sur qui ils sont, pourquoi ce rejet, ce qui va les définir. Ils vont se confronter à l'absurde, aux codes sociaux nippons.
En dépit de son thème difficile, où on sent de la part de l'auteur soit une expérience directe soit une excellente documentation tant les pensées des protagonistes et le processus de l'effondrement dans l’abyme est réel, ce livre est doté d'une grâce déconcertante, et surtout apaisante. On enrage, on hurle, on désespère, on accompagne ces deux enfants sur un chemin difficile, on espère tellement que leur quotidien devienne plus calme, mais que nenni. Le désespoir, l'abandon, le déni, la joie, la construction, l'avenir, le suicide, le concept de la mort, tout passera dans leur petites têtes encore trop jeunes mais déjà matures sur certains points.
Et Heaven, dans tout ça ? Eh bien, Kojima affirme que c'est un tableau, son tableau préféré, qu'elle voulait faire découvrir à notre jeune homme lors d'une sortie au musée tous les deux, mais sa tentative aura échoué, cédant à une crise d'angoisse. Il ne le verra d'ailleurs jamais, et elle n'en parlera plus, à croire qu'il n'existe peut-être pas, que le Ciel, après tout, est inatteignable ?
Ce roman, en plus de remuer les entrailles, a aussi en filigrane une réflexion sur la fonction sociale de l'ijime et la place des "mis à l'écart" dans les sociétés humaines, et la façon dont ces personnes se construisent, avancent sur le chemin vers la vie adulte. Malgré sa qualité, je ne pense pas qu'il faille le mettre entre toutes les mains, il peut déstabiliser et certaines scènes sont violentes, mais s'il fallait un livre pour faire découvrir le chaos mental que cette situation provoque, alors c'est celui-ci. S'il fallait un livre pour montrer qu'on peut construire sur des décombres, alors c'est celui-ci.
Il faut avoir le chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante. -F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathustra.
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Deux opprimés, deux adolescents, l’un brimé pour un défaut physique, l’autre pour son apparence volontairement négligée, subissent la violence des élèves du collège.
De cette souffrance cachée aux adultes, de cette résistance partagée et plus intellectuelle que physique naît une amitié fondamentale mais discrète et pudique. Une amitié à travers laquelle se construit, le temps d’une année scolaire, l’essentiel du rapport au monde de ces deux jeunes gens, alors même que tout semble fermé tant la différence et le handicap en territoire d’enfance ne génèrent que danger et isolement.
Après Seins et OEufs et De toutes les nuits, les amants, l’ambition littéraire de Mieko Kawakami se confirme. Auteur de la prise de risques et de la maîtrise de son propre style, elle offre ici au lecteur un regard sur les concepts d’identité, de sujet et de bonheur qui bousculent et décapent la tradition intellectuelle occidentale.
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