Considérée comme la première femme écrivain professionnelle de la littérature moderne japonaise. Son portrait orne les billets de 5,000 yens.
Critique: "Sortie parc, gare d'Ueno", de YÛ Miri
C'est un très beau roman que celui-là, empreint d'une immense mélancolie, d'une poésie dramatique insondable et d'une fatalité déchirante. Si vous n'aimez pas pleurer, passez votre chemin : il y aura plus d'un passage qui vous déchirera l'âme, pour peu que vous connaissiez un peu la condition des SDF au Japon et la mentalité peu tournée vers son prochain des Japonais.
Je croyais que la vie était comme un livre, on l'ouvrait à la première page, on passait à la deuxième, on continuait et on arrivait bientôt à la dernière mais la vie n'a rien à voir avec ce que racontent les livres. Les lettres s'enchaînent, il y a des numéros de pages, mais cela n'a ni queue ni tête. Même au-delà de la fin, il n'y a pas de fin.
Extrait pages 7-8.
Quelques chose demeure.
Comme les arbres qui restent sur un terrain vague après la démolition d'une maison en ruine...
Comme l'eau qui reste au fond d'un vase quand on a jeté les fleurs fanées.
Quelque chose demeure.
Ce qui demeure, c'est quoi ?
La sensation de fatigue.
J'étais toujours fatigué.
Je n'ai connu que la fatigue.
Quand je courrais après ma vie comme quand je la fuyais.
Je n'ai pas eu le sentiment de vivre, seulement d'avoir vécu.
Il n'en fallait guère plus pour me convaincre d'une élégance littéraire qui me plaisait. La traduction est superbe, bien que deux phrases m'aient surprises par leur étrangeté, mais peu importe, la qualité de l'ouvrage n'en pâtit pas.
Alors voilà, le narrateur, né en 1933, a traversé la vie un peu malgré lui, complètement obnubilé par le besoin, pensait-il, de gagner beaucoup d'argent pour soutenir les siens. Il part à Tokyo, travaille sans relâche, sans voir ses enfants grandir, bouge çà et là, selon les contrats... Mais voilà, la valse des pertes cruelles, dans un contexte de précarité plus ou moins grande, commence : le fils, l'épouse, les voisins, les proches...
Son entourage perd la vitalité qui était sienne, toutes les couleurs s'affadissent petit à petit, pour finalement rejoindre les couleurs des bâches et des cartons des SDF de Ueno... Car le grand-père, ne souhaitant plus être à la charge de sa petite-fille dans une famille disparue qu'il n'a de toute manière jamais connue, s'enfuit à Tokyo et rejoint les rangs des laissés-de-côté, des ignorés...
Sauf que voilà, on apprend, très rapidement, que le papy qui n'était plus tellement de notre monde, a quitté la vie. Nous sommes en 2013, 2014, 2016... peu importe. La catastrophe du Tohoku a eu lieu, région d'origine de notre compagnon et... lieu de vie de sa petit-fille.
On le suit au gré des souvenirs évoqués, pêle-mêle, dans une trame temporelle parfois un peu floue. Un compagnon d'infortune, un flash de sa propre fin, la rencontre avec son épouse, son enfance et la guerre, le travail, la naissance de son fils... Chaque chose est évoquée avec douceur, laissant un goût de désenchantement plus ou moins intense, une sorte de regret de n'avoir jamais vécu qu'au passif. En filigrane, une réflexion sur la vanité de l'être, sur les besoins réels qu'on les humains, sur la société dévorant âmes et passions... et familles.
Alors non, vous n'allez pas sourire, ni rire pendant la lecture, jamais sûrement, mais ce que ces pages racontent reposent sur douze années de recherche sur les SDF, puis sur les sinistrés de 2011, toujours pas relogés au moment où j'écris cette chronique : l'auteur n'a, hélas, rien inventé de la triste condition des uns et des autres.
En tous cas, ce roman reste une expérience littéraire inoubliable par sa douceur et le traitement de son sujet.
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Dans le parc d’Ueno, un homme âgé s’est installé. Après une vie de labeur passée loin des siens, il imaginait une retraite paisible, en famille.
Mais la vie en a décidé autrement. Après la mort de sa femme, il n’a pas la force de rester dans leur maison et préfère revenir se perdre dans l’anonymat de Tokyo. Sous les arbres, il se construit une cabane de bâches et de planches, affrontant ainsi le temps et les saisons. Posant son regard paisible sur les promeneurs, tendant l’oreille aux commentaires des visiteurs du musée attenant au jardin, aux chants des oiseaux comme aux mots insolites de ses compagnons de misère, le vieil homme vaque en silence aux abords de l’étang ou s’avance dans le hall de la gare, là où l’espace fourmille encore d’urgences et d’horaires, il se souvient.
Dans le parc d’Ueno, le vieillard écoute la beauté et la misère mêlées. Mais les opérations spéciales de nettoyage sont de plus en plus nombreuses en ces lieux, épreuves chaque fois plus traumatisantes pour les sans-logis car il leur faut fuir, sans délai déconstruire leurs baraquements, effacer toute trace de leur dérive.
Au passage de l’empereur, comme aux yeux du monde à l’approche des Jeux olympiques de 2020, il s’agit là de ne pas dénaturer l’image de Tokyo.
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