Si on vous posait la question : « Choisissez 100 séries ou films d’animation à retenir pour l'éternité », que répondriez-vous ? Si l'exercice semble ludique au premier abord, il tourne vite au dilemme cornélien. On a tous nos favoris indéboulonnables. Pour ma part, j'aurais inclus sans hésiter Kyoukai no Kanata (Beyond the Boundary). Spoiler : il n'y est pas.

Subjectivité assumée

C'est la règle cruelle de toute anthologie : faire des choix, c'est renoncer. Faut-il sacrifier un classique des années 70 pour une pépite récente ? Comment équilibrer les blockbusters du Shonen Jump avec le cinéma d'auteur ?

Malgré l'absence inévitable de certains favoris, Joe O'Connell relève le défi avec brio. Dans son ouvrage "Le guide ultime de l'anime: 100 séries et films d'animation incontournables", il ne se contente pas de proposer une liste arbitraire ; il offre une réponse argumentée et passionnée. Il a conçu une boussole pour naviguer dans cet océan sans fin, s'adressant aussi bien aux « rescapés » de l'époque des VHS piratées qu'à la nouvelle génération qui découvre l'anime sur Netflix.

L'auteur : De YouTube à la librairie

Si le nom de Joe O'Connell ne vous dit rien, son travail vous est peut-être déjà familier. Il est le créateur de la chaîne YouTube anglophone Beyond Ghibli. Suivie par des centaines de milliers de passionnés, sa chaîne s'est donnée une mission claire : prouver que l'animation japonaise ne s'arrête pas aux portes du studio de Hayao Miyazaki. Ce livre, publié aux éditions du Chêne, est le prolongement direct de ses essais vidéo : une curation minutieuse pour guider les fans au-delà des sentiers battus.

Un voyage à travers les genres

Le résultat ? Un panorama de 100 œuvres incontournables qui balaie large, des pionniers (Devilman, La Belladone de la tristesse) aux succès planétaires actuels. L'ouvrage prouve que ce médium ne connaît aucune limite en explorant tous les registres :

• L'action pure (Akira, Jujutsu Kaisen).
• L'aventure au long cours (One Piece, Vinland Saga).
• Le mecha et ses robots iconiques (Patlabor, Evangelion).
• Le drame et la tranche de vie (March Comes in Like a Lion, Nana).

Des pépites méconnues aux ovnis visuels

C'est sans doute là le véritable atout de l'ouvrage. Si l'auteur s'était contenté de lister les 100 animes les plus célèbres, le livre aurait manqué de saveur. Mais il a eu l'intelligence d'intégrer des œuvres expérimentales et des « perles méconnues » pour élargir nos horizons :

• L'audace graphique : On redécouvre Mononoke et ses textures d'estampes traditionnelles (ukiyo-e), ou encore le psychédélique Mind Game de Masaaki Yuasa, véritable voyage hallucinogène mêlant animation et visages réels.
• La profondeur thématique : Loin des clichés, le guide met en lumière Le Rakugo ou la Vie, une fresque magistrale sur l'art du conteur dans le Japon d'après-guerre, ainsi que la mélancolie métaphysique d'Ailes Grises (Haibane Renmei).
• Les inclassables : L'auteur surprend en sélectionnant Thunderbolt Fantasy, une série de marionnettes taïwanaise qu'il qualifie de « série la plus animée » du livre, ou encore Detroit Metal City, parodie noire et jubilatoire du death metal.

Un musée de papier

Au-delà de la sélection, c'est la forme qui séduit. Le livre est conçu comme un véritable musée imaginaire où chaque chapitre est une salle d'exposition. Le design graphique et les illustrations issues des œuvres citées offrent un écrin moderne qui met en valeur une riche iconographie issue directement des studios (Ghibli, Madhouse, Production I.G...).

Cette approche visuelle permet de saisir, en un coup d'œil, l'identité graphique de chaque œuvre, qu'il s'agisse de l'atmosphère d'angoisse en noir et blanc d'Uzumaki ou de la douceur de la rotoscopie dans Hana et Alice mènent l’enquête. L'auteur en profite pour glisser des analyses techniques pointues, décryptant par exemple le concept de sakuga, ces séquences d'animation à la fluidité exceptionnelle.

Un traitement inégal mais nécessaire

Précisons toutefois que toutes les œuvres ne sont pas logées à la même enseigne. La répartition de l'espace révèle une hiérarchie claire : tandis que des titres majeurs comme Patlabor jouissent d'un traitement complet, d'autres, à l'image de Rent-a-Girlfriend, doivent se contenter d'un encart plus modeste.

L'auteur prend néanmoins le soin de justifier longuement certaines sélections audacieuses, à l'image des Contes de Terremer. Une inclusion qui peut surprendre, mais qui est ici étayée par des raisons symboliques et historiques. Cette démarche enrichit l’expérience analytique plutôt que de la réduire à une simple opinion.

Alors, ce guide est-il fait pour vous ?

Pour le « vieux briscard » qui a connu l'époque des VHS, ce livre agira comme une madeleine de Proust. Il ne vous apprendra peut-être pas l'existence d'Evangelion, mais il vous donnera une furieuse envie de relancer des pépites oubliées comme La Mélancolie de Haruhi Suzumiya ou de vous plonger enfin dans l'univers apaisant de Mushishi.

Pour le curieux qui se sent perdu face aux milliers de titres disponibles, ce livre est une boussole précieuse. Il rappelle que l'anime est, selon les mots de l'auteur, une « nouvelle frontière » : un art capable du pire comme du meilleur, d'être tour à tour hilarant, déchirant, expérimental et profondément humain.