Art

Le château ambulant et le savoir-faire des lissiers d’Aubusson suscitent l’admiration

samedi 1 juillet 2023

La vie est un éternel recommencement. Tombée en désuétude, souffrant d'une image bourgeoise ou poussiéreuse, la tapisserie connait depuis quelques années un regain d’intérêt et se défait des préjugés. Elle est imaginée avec de nouveaux procédés de tissages, intégrée dans des univers modernes, des assemblages inattendus et des œuvres tridimensionnelles à mi-chemin entre la sculpture et l’installation. Même les grandes maisons de luxe ont mis en avant ces rustiques œuvres tissées en jouant sur le côté décalé, en exploitant le cachet unique qu’apportent leurs motifs généreux et théâtraux inspirés de la nature, finalement parfaitement dans l'air du temps.

"Confluentia" de la designer contemporaine française Bina Baitel. Entre impression de peintures se déversant au sol, à la lisière du lac et de la carte topographique, un tapis ras d’Aubusson relie deux tables de chevet tapissées (Tarah, de NextLevel Galerie).

Si cela est possible, c’est grâce au travail de personnes qui se sont évertués à préserver le patrimoine, mettant en valeur une production laissée dans l’ombre de certains aprioris, mais aussi en initiant des projets ambitieux et fédérateurs pour repousser les frontières de la tapisserie. C’est ce que fait la Cité internationale de la tapisserie (à Aubusson), depuis son ouverture en 2016.

Éduquer le public, transmettre les savoir-faire et valoriser les artistes, telle est la mission de cette ruche dédiée au rayonnement de la tapisserie. Elle est bien partie pour dépoussiérer et marquer l'Histoire de la tapisserie.

L’inscription de la tapisserie d’Aubusson sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO est intervenue à un moment où la transmission de ce savoir-faire vieux de six siècles était en péril. Pour le préserver, une formation de lissiers a été mise en place en 2010 avec le GRETA du Limousin. Trois promotions plus tard, les emplois ont été préservés dans les manufactures existantes et plusieurs ateliers ont vu le jour. Certains d’entre eux, ont eu l’honneur de participer à la formidable aventure "L'imaginaire de Hayao Miyazaki en tapisserie d'Aubusson".

Ces nouveaux élèves du centre de formation de la Cité s'aguerrissent, courbés sur leur petit métier à tisser. Un jour, peut-être, ils pourront exercer leur habileté sur de bien plus grands projets.

En 2017, la Cité baptise avec Aubusson tisse Tolkien, ses séries de "tableaux" monumentaux à partir d'œuvres populaires. Quatorze illustrations méconnues de l’auteur du Seigneur des anneaux, choisies en concertation avec la famille Tolkien, ont depuis été produites. Certaines pièces avaient été présentées à la Bibliothèque Nationale de France à l’occasion de la grande exposition consacrée à Tolkien en 2019.

En 2026, après trois années de préparation et de tissage, sera dévoilée, une œuvre de 23 mètres de long sur 2,20 mètres de haut, dans la perspective de la commémoration du 150e anniversaire de la disparition de George Sand.

L'imaginaire d'Hayao Miyazaki en tapisserie d'Aubusson

Début 2019, débutait officiellement le formidable projet de tisser en fil d’Aubusson une tenture (ensemble des tapisseries composant une série) à partir d'images extraites des films de Hayao Miyazaki. Cinq scènes ont été sélectionnées, en fonction de leur esthétique mais aussi de la « tissabilité », par l’équipe technique de la Cité, validées par le Studio Ghibli et Miyazaki lui-même, qui conserve un regard sur le travail des lissiers d’Aubusson.

Depuis 2021, un espace de présentation de cet ambitieux projet est accessible au public au sein de la Cité internationale de la tapisserie.

D’ici la conclusion du programme en hommage à Miyazaki, près d’un million d’euros (financés en grande partie par des fonds européens FEDER mais aussi récoltés auprès de généreux et indispensables mécènes) vont être dépensés pour montrer un autre visage de l’art de la tapisserie et servir d'étendard pour le savoir-faire des lissiers d’Aubusson, ainsi que de la filière dans son ensemble (producteur de laine, filature, teinturier…).

C'est un savoir-faire pluricentenaire, que la Cité internationale de la tapisserie continue de faire vivre. Cela permettra peut-être d'attirer un plus large public vers l'art de la tapisserie en général et celle d'Aubusson en particulier.

La tapisserie intitulée "Le Voyage de Chihiro, le banquet du Sans visage" est déployée dans la salle temporaire de l'exposition. Il aura fallu près d'un an à quatre jeunes lissières de la manufacture Robert Four pour tisser l'éclatante fresque qui s'étale sur 7,5 mètres de long et 3 mètres de haut.

Sur les cinq monumentales scènes prévues initialement (la cité espère en ajouter deux ou trois autres avec Totoro en tête d'affiche), quatre sont maintenant terminées. "Princesse Mononoké, Ashitaka soulage sa blessure démoniaque" a été montré en mars 2022. "Le Voyage de Chihiro, le banquet du Sans visage" a été présenté en janvier 2023, "Le Château ambulant, au coucher du soleil" et "Le Château ambulant, la peur de Hauru" ont été dévoilés respectivement le 21 avril et le 16 Juin 2023. 

Nous n'avions pas pu nous rendre à la tombée de métier de la seconde tapisserie confrontant Chihiro et Sans-visage. Il était inconcevable de rater le dévoilement des deux tapisseries transposant le Château Ambulant de Miyazaki en laine d'Aubusson.

Le Château ambulant, au coucher du soleil

La tombée de métier de la troisième et plus grande tapisserie du projet de tenture inspirée des films de Hayao Miyazaki, a eu lieu le 21 avril 2023.

Sophie, la jeune héroïne, fait la connaissance d'un magicien nommé Hauru. En rentrant chez elle, elle découvre la sorcière des Landes, qui la transforme en une femme de 90 ans. Cherchant à briser la malédiction, Sophie quitte la maison et part à travers la campagne. Elle rencontre un épouvantail vivant, qu’elle surnomme affectueusement Navet. La scène représentée esquisse les fragiles silhouettes de Sophie et Navet alors qu'ils s'apprêtent à entrer sans invitation dans le curieux château sur patte.

En direct d'aubusson

Chaque événement fait l’objet d’une diffusion en direct sur la chaine YouTube de la Cité de la tapisserie. Vous pouvez revoir la tombée de métier et le dévoilement de la troisième tapisserie de la tenture.

Et en ce nouveau jour exceptionnel, l’effervescence est à son comble. Comme à chaque évènement de la tenture Miyazaki. Toutes les personnes présentes attendent avec impatience les premiers coups de ciseaux de la tombée de métier et surtout le dévoilement en grande pompe dans l’auditorium de la Cité internationale de la tapisserie.

Il a fallu 11 mois pour la tisser. 8 lissières, de deux petits ateliers d’Aubusson (France-Odile Perrin Crinière, Aiko Konomi, Patricia Bergeron, Elisa Gastaud-Lipreau pour l'atelier A2 ; Cloé Pati et Aurélie Chéné pour l'atelier Les Just'lissières) ainsi que deux lissières indépendantes (Alexia Virig et Natalie Mouveroux), avaient été réunies pour confectionner « Le Château Ambulant au coucher du soleil » ;

La visite des coulisses révèle d'intéressants trésors. Quand on vous dit que "L'imaginaire de Hayao Miyazaki en tapisserie d'Aubusson" est un projet évocateur et fédérateur... Ici des cartons de flûtes ayant servi à confectionner la troisième tapisserie de la tenture, entreposés chez les Just'lissières, rappellent encore qu'elles ont y posé leur marque avec plaisir.
L'adaptation de l’image, issue du film sorti en 2004, a demandé plusieurs mois de préparation, entre recherches de matériaux et travail des couleurs.
Bien avant d'entreprendre le long et patient travail de tissage, il a fallu établir et déterminer avec attention les différents repères de tissage, surtout quand 8 personnes doivent travailler de concert.
Pour retranscrire l'image du château en laine d'Aubusson, 360 couleurs pures et 1065 de combinaisons de couleurs ont été créées en collaboration avec Nadia Petkovic, la teinturière affiliée à cette tapisserie.
La monumentale tapisserie du château ambulant est encore enroulée autour de l'ensouple du traditionnel métier à tisser de basse-lisse.
Ce rituel marque la conclusion d'une année entière de travail. Chacune des personnes présentes a eu l'honneur de participer à l'évènement de façon ludique en coupant quelques fils de chaine afin de libérer la tapisserie.
Joyeuses, elles ne dissimulent pas leur fierté mais encore quelques secondes avant la révélation elles restent fébriles. Les lissières vont découvrir réellement leur travail après une année entière passée à tisser côte à côte, et sur l’envers, cette tapisserie monumentale de 25m2.
Celles qui ont œuvré durant des mois ont été chaleureusement félicitées. Elles le méritent. La tapisserie est vraiment spectaculaire. Le travail est à la hauteur des promesses et des espérances.

Les lissières, toutes issues de la formation et diplômées du Brevet des métiers d'art proposé par la Cité de la tapisserie, ont eu à cœur de prouver leur valeur sur cette monumentale entreprise. Certaines étrennaient même grattoirs et poinçons sur une œuvre de cette dimension.

Lissières confirmées et débutantes ont beaucoup échangé durant la stimulante et enrichissante année qui s'est écoulé et c'est aussi cela qui compte dans les métiers d'art: partager ses connaissances, créer une dynamique vertueuse, et surtout transmettre avec passion les savoir-faire patrimoniaux.

Dans l’univers fantaisiste de Miyazaki, le vivant c’est aussi animer l’inanimé. Du personnage du navet épouvantail à ce château mobile et hybride, organique, quasi animal, l’esprit merveilleux raconte comment habiter le monde, interrogeant la sédentarité, et pourquoi pas habiter le monde en passager, c’est-à-dire dans la métamorphose des êtres et des choses.
Dans l'imaginaire plus que fascinant qu'est celui de Hayao Miyazaki, la machine composite est faite de métal, de bois et de pierre. Dans cette fabuleuse reconstitution tissée de fils, ce sont laine, lin, rayonne (fibre textile artificielle imitant la soie) et mohair qui s’associent pour faire naître l'émoi.
L'utilisation du mohair, fibre naturelle, douce et chaude à l'apparence duveteuse, a permis de retranscrire l'effet de la vapeur rejetée par le château.
France-Odile Perrin-Crinière et Aiko Konomi (Aiko est venue se former il y a quelques années, elle est finalement restée à Aubusson), deux lissières particulièrement enchantées de l'engouement du public pour leur précieux travail sur la tapisserie.
Lena, fan inconditionnelle de l'œuvre du réalisateur japonais, pose dans une tenue de Sophie confectionnée par ses soins.

Le Château ambulant, la peur de Hauru

L’avant-dernière des cinq tapisseries de la tenture dédiée au maître japonais de l’animation, est « tombée du métier » le vendredi 16 juin 2023 et nous fait pénétrer à l’intérieur de la forteresse mystérieuse.

Hauru, transformé en oiseau, est rentré épuisé d’un combat. En rangeant le château, Sophie a déplacé ses affaires. Exaspéré, Hauru voit ses beaux cheveux blonds devenir noirs. Il sombre dans la déprime. Sophie est à son chevet. Le magicien lui avoue sa peur et son manquement à ses responsabilités dans la guerre.

En direct d'aubusson

L’événement est trop rare pour être manqué. Comme depuis le début de l’aventure tissée, les phases finales de l’exécution des tapisseries Miyazaki, sont retransmise en direct sur la chaine YouTube de la Cité de la tapisserie.

C’est l’atelier familial Guillot (Patrick, Marie et Luc Guillot.) qui a été chargé de confectionner la tapisserie. Les Guillot n’en sont pas à leur première œuvre, ni à leur premier travail sur la collection Miyazaki. Ce sont déjà eux qui ont relevé le défi pour le tissage de "Princesse Mononoké, Ashitaka soulage sa blessure démoniaque".

Cet outil traditionnel sert au flûtage. Les fils sont transférés manuellement des cônes de couleurs vers les fins tubes en bois (flutes) qui serviront au tissage.
Plus de 200 teintes ont été nécessaires. Les lissiers ont aussi eu à gérer plus de 2000 déclinaisons de couleurs en combinant 5 à 6 fils de couleurs primaires, deux fois plus que pour la précédente tapisserie.
Même avec ces quelques cartons de flutes posés sur les fils de laine du métier à tisser, on peine à mesurer l'ampleur du travail. Les plus curieux des journalistes nous accompagnant ont beau tenter d’entrapercevoir la plus complexe tapisserie de la tenture Miyazaki dissimulée sous cette couverture bleue, ce ne sont que les restes de fils de trame qui apparaissent. C'est bien sur l'envers, en surveillant la progression, quelques centimètres à la fois, à l'aide d'un miroir, que les lissiers ont œuvré durant une année.
La tombée de métier est partagée avec plaisir par les maîtres d'oeuvre et le public venu contempler la remarquable exécution. Avec ce coup de ciseaux durant ce cérémonial solennel, j'ai la faveur de participer (un peu) à l’histoire de la tapisserie d'Aubusson.
L’amphithéâtre est bondé, comme toujours. Tous accueillent déjà avec de généreux applaudissements la tapisserie, avant même qu’elle ne soit dévoilée.
Sur le visage des Guillot, toujours cette même appréhension avant de voir le résultat de leur travail. Mais leurs doigts de fée ont fait des merveilles. Encore. La tapisserie est fabuleuse. Aucune raison d'en douter.
Mesurant 3 m de haut pour 5,60 m de large, cette quatrième tapisserie est époustouflante. Si ce n’est pas la plus grande de la tenture, c'est sans doute la plus délicate à réaliser tant elle regorge de détails.
La relation au domestique, à l’espace de la quotidienneté est récurrente et dans la chambre du magicien, couvertes de grigris et peluches, trésors de l’enfance, l’héroïne fait face au jeune homme. Celui-ci, figé par l’incapacité à dépasser ses peurs, ne quitte pas le temps de l’adolescence. Les notions de mort et de vie, d’un mode d’existence choisi ou du soin porté à l’autre, traversent cette scène initiatique. La puissance et le courage du féminin construisent un point central de l’œuvre de Miyazaki.
Chapeau haut-de-forme, veste noire et nœud papillon bleu... Vous avez remarqué cet étrange personnage ? Sa créatrice, Lena, fidèle visiteuse creusoise de la Cité, ne doit pas être bien loin.

お疲れ様!!!

Audacieuse et magistrale idée que de métamorphoser les images animées de Hayao Miyazaki en laine d’Aubusson. Elle entraîne naturellement les visiteurs dans l’univers plus large de la tapisserie. D’autant qu’on ne peut être qu’impressionné par l’intelligence et la maestria des artisans d’Aubusson.

Les louanges sont dithyrambiques mais sans emphase. C’est un remarquable travail d’art qu’il faut absolument admirer au plus près. Il célèbre et donne une nouvelle dimension aux contes oniriques et extraordinaires du réalisateur japonais.

Croiser le 7eme art et l’artisanat d’art, tisser des liens entre le studio Ghibli et la Cité de la tapisserie, tisser des liens entre les Japonais férus d’art (et de métiers d’art) et Aubusson… Ce sera un véritable évènement d’arriver au Japon avec ces tapisseries et de pouvoir attirer des touristes de l’archipel dans la charmante petite commune nichée au centre de la France.

Félicitations : À tous, à la Cité internationale de la tapisserie ; Delphine Mangeret, l’artiste cartonnière ; Nadia Petkovic, inénarrable et géniale créatrice de couleur ; Alexia Virig et Natalie Mouveroux ; France-Odile Perrin Crinière, Aiko Konomi, Patricia Bergeron, Elisa Gastaud-Lipreau pour l’atelier A2 ; Cloé Pati et Aurélie Chéné pour l’atelier Les Just’lissières ; Patrick, Marie et Luc de l’Atelier Guillot.

Un Week-end à Aubusson

Au cœur du Sud creusois, la Cité internationale de la tapisserie se trouve à mi-chemin entre Clermont-Ferrand et Limoges. Pour vous y rendre, en transport en commun, depuis la capitale, il est nécessaire de s’armer d’un peu de patience mais le déplacement en vaut la peine.

De Paris-Austerlitz à La gare SNCF de la Souterraine en train, il faut compter 2 heures 41 minutes environ. Les voitures sont modernes et spacieuses. Au quotidien, une dizaine de trains font l’aller-retour. Il faudra ensuite, prendre une navette (une heure de trajet) pour rejoindre la sous-préfecture du département de la Creuse.

Pour se loger, le temps d’un week-end, afin de profiter des ruelles et venelles tortueuses du village médiéval, de gouter aux spécialités culinaires creusoises, de visiter les ateliers de tissage et découvrir les nombreuses parties prenantes qui gravitent autour de la Cité internationale de la tapisserie, nous pouvons vous conseiller l’hôtel "La Beauze". Nommé d'après le ruisseau la Beauze qui court au fond du jardin, il se situe à 100m de la Cité. Le sympathique couple néerlandais qui tient le petit établissement (dix chambres), depuis plusieurs années, vous y accueillera avec un grand enthousiasme.

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    Pour plus de détails, consultez notre déclaration d’éthique.
  • publié le samedi 1 juillet 2023, 4:12 (JST)
    Dernière modification le lundi 23 octobre 2023, 21:04 (JST)
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