Guillaume Bression et Carlos Ayesta sont deux photographes documentaires. Ils se sont rendus à de multiples reprises dans la zone contaminée proche de la centrale nucléaire de Fukushima.
Pour cette série de témoignages de vies changées à jamais réalisés entre 2011 et 2016, ils ont convaincu quelques anciens habitants parmi les plus de 80.000 résidents déracinés à poser pour leurs objectifs dans ce qui étaient leurs lieux de vie.
Revenus chez eux, ils ont eu du mal à reconnaître ces lieux familiers, les maisons, les commerces, les écoles dévastés.
Face à l’objectif, ils se sont tous tenus de faire « comme si de rien était » et de se comporter normalement. Ces scènes surnaturelles, dérangeantes et pourtant plausibles mêlent le « banal à l’étrange », résultat d’une catastrophe nucléaire historique.
Retracing our steps (Revenir sur nos pas), Fukushima exclusion zone (2011-2016), est une série de Carlos Ayesta et Guillaume Bression éditée par Kehrer Verlag et presenté sur la plateforme Fukushima No Go Zone .
Ce vétérinaire est installé dans un bar de la ville de Okuma, à 5 km de la centrale de Fukushima. « J’ai quitté le Japon pour vivre au Brésil quand j’avais 30 ans. Après le 11 mars, en voyant les conséquences de l'accident, j'ai décidé de revenir pour venir en aide aux éleveurs de la zone interdite de Fukushima, en particulier ceux qui avaient refusé de faire abattre leur cheptel comme les autorités l’exigeaient. » Toshio Saito
« Je me souviens avoir attendu longtemps avant d'avoir l'autorisation de venir chez moi, dans la zone interdite de Fukushima. Il y avait une longue liste d'attente. Quand je suis revenue pour la première fois, je voulais prendre beaucoup de choses, mais à cause de la radioactivité, nous n’avions pas le droit de rapporter beaucoup d’affaires. Maintenant, je ne veux plus venir parce que ça me rend triste de voir ce que ma maison est devenue. Avant la catastrophe, je pensais que ma ville était le plus bel endroit pour vivre, j’avais tout ce qui me fallait. Aujourd’hui, j'ai perdu toute énergie de vivre, je me sens tellement vide. Chaque fois que je viens ici, je me sens déprimée. On m'a conseillé de ne plus venir. Désormais, je m'en moque si un voleur entre dans ma maison. De toute façon, il n’y a plus grand-chose à voler ici. » Ayako Hayakawa
« Même si je décidais de reprendre le travail à l'usine, il n'y aurait plus d'activité ici dans mon domaine. Il serait donc vain de revenir. Je ne peux pas prédire l’avenir, mais j'ai le sentiment que Namie deviendra une ville fantôme où personne ne reviendra vivre. L'année dernière, une étude a été menée à Namie et seulement 20% des personnes interrogées ont indiqué vouloir revenir. Avec le temps ce nombre risque de baisser de 20% à 10% et ainsi de suite. Pour moi, Namie est vouée à disparaitre. » Katsuyuki Yashima
« Nous sommes des personnes âgées. Si on décidait de rentrer dans la zone interdite où se trouvait notre maison, un hôpital à proximité serait la chose la plus importante pour nous. Même à l’extérieur de la zone interdite où nous sommes réfugiés, je suis obligé de me lever à 5 heures du matin tellement la file d’attente est longue pour voir un médecin. Si les hôpitaux ne rouvrent pas dans la zone, personne ne reviendra. » Tamotsu Hayakawa
« Mon père avait commencé son activité de fleuriste il y a 60 ans. J’en ai hérité. S'il y avait eu uniquement un séisme et non un accident nucléaire, nous aurions redémarré notre entreprise facilement, mais ce n'est pas le cas... » Toyotaka Kanakura
« Je suis née ici à Namie, à 10 km de la centrale nucléaire, et bien sûr je voudrais revenir. Malgré l’évacuation, j’ai conservé mon adresse permanente à Namie parce qu'au fond je me sens résidente de Namie, peu importe où je vais. Mais avec les années, j’ai fini par me dire qu’il était temps de passer à autre chose car la ville ne sera plus jamais la même, tout le monde est en train de racheter des maisons ailleurs. » Keiko Suzuki
Avant l’accident, Tomohiro Aoki tenait un magasin de céramiques japonaises. Après le départ de tous les habitants, son magasin a été cambriolé à plusieurs reprises et toutes les pièces de valeur ont disparu. Il a été évacué dans la région de Tokyo avec sa femme et sa fille.
« Après le 11 mars 2011, les propriétaires ont suivi l'ordre d'évacuation en laissant les bêtes dans leur enclos. Au départ, je n'ai pas osé pénétrer dans cette ferme. Mais trois semaines après, j’étais trop inquiet et j'ai franchi le pas. Presque toutes les vaches étaient déjà mortes ou en train d’agoniser. » Naoto Matsumura
« Mon grand-père a ouvert ce magasin de jouets il y a 70 ans. Ma famille est une famille importante de la ville. Nous étions environ 50 à vivre à Namie ou à Odaka et nous sommes tous des réfugiés du nucléaire maintenant. Le gouvernement souhaite rouvrir la ville de Namie en 2017. Mais seule une partie des maisons seront décontaminées. Alors, que se passera-t-il si un enfant joue aux alentours... ? Ce que le gouvernement est en train de faire n'a aucun sens. » Yuzo Mihara
« Avant la catastrophe, je tenais un salon de beauté à Okuma, à 5 km de la centrale nucléaire mais je suis originaire de la ville voisine de Namie où cette photo a été prise. Le jour du séisme, je m’occupais d’une cliente originaire des Philippines. Elle me parlait dans un japonais parfait jusqu’au moment où la terre s'est mise à trembler. Là elle s’est mise à crier en anglais, de panique. » Rieko Matsumoto
« Le principal problème est qu'il n'y a plus d'infirmières dans la région. Elles avaient toutes une certaine connaissance de la radioactivité. La plupart d'entre elles ont été évacuées très rapidement après l'accident de la centrale nucléaire et elles ne veulent pas revenir. Les gens ont besoin de comprendre que ce ne sera plus comme avant. Les personnes âgées ne recevront pas le soutien de la jeune génération comme c'était le cas avant l'accident car il n'y a plus de jeunes dans la région. Que vont-ils devenir sans jeunes dans la région ? En particulier, toutes les infirmières sont parties et aucune n’a l’intention de revenir… Alors, est-ce que les enfants reviendront ? Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, les gens qui reviennent ont 70 ans en moyenne, ce qui veut dire qu’ils auront 80 ou 90 ans dans 10 ans. Si les enfants ne reviennent pas, on ne pourra pas vraiment parler de revitalisation. » Katsumi Sato
Yasushi Ishizuka se trouve dans un Pachinko (salle de jeu japonaise) de Tomioka. Le bâtiment fortement touché par le tremblement est resté abandonné depuis la catastrophe.
Ce restaurant de grillade est situé dans la ville de Namie, à 10 km de la centrale nucléaire de Fukushima, sur la route 6 qui traverse la zone interdite du nord au sud. Aujourd’hui, on peut circuler sur la route 6 même au plus proche de la centrale nucléaire, mais il est interdit de s’y arrêter.
« Dans cette maison, nous fabriquions des tatamis et des futons. Trois personnes y travaillaient. J'étais ici quand le tremblement de terre a frappé. Le lendemain matin, le 12 mars, nous avons vu des gens marchant autour de notre maison dans des combinaisons de protection radiologique, c'était vraiment bizarre. La police nous disait " S'il vous plaît, évacuez tout de suite sur ordre du Premier ministre ", mais ils ne nous disaient pas où aller. Quand nous avons été évacué, nous pensions que ce serait pour seulement quelques jours. Alors, nous avons seulement emporté des médicaments et des couvertures. C'est tout. Nous sommes revenus pour la première fois la veille de la fermeture totale de la zone, le 21 avril 2011. A l’époque, nous avions vraiment peur de la radioactivité. Quand nous sommes revenus pour la première fois, je ne suis resté que 10 minutes dans la maison. En 10 minutes, dans ce désordre, il fallait trouver tout ce qui avait de la valeur pour nous, c’était difficile. Il y avait un sentiment étrange parce que le dosimètre bipait tout le temps. » Ikuko Suzuki
« Je pense que mon fils se souvient de cette maison, mais ma fille était trop jeune à l’époque pour pouvoir s’en rappeler. Ma femme n’est venue qu’une ou deux fois depuis l'accident nucléaire car elle s’inquiète beaucoup de la radioactivité. La première fois que nous sommes revenus dans notre ancienne maison, nous n’avons pas échangé un seul mot. Je regardais ma femme agenouillée par terre, en train d'essayer de trouver des objets relatifs à nos enfants et cela me fendait le cœur. A l’époque, la maison n’était pas tellement en désordre. Mais quand nous sommes revenus la deuxième fois, la porte avait été éventrée par un sanglier et l’intérieur de la maison avait été ravagée. J'ai alors pensé qu’il me serait impossible de revenir vivre ici. Avant l'accident nucléaire, il n'y avait pas de sangliers ou de singes dans la région, mais depuis, à chacune de nos visites, nous apercevons souvent ce genre d'animaux sauvages. » Shinichi Yamada
« J’étais en train de prendre une leçon de conduite au moment du tremblement de terre. J’ai été particulièrement choquée par les vitres qui vibraient dans tous les sens. J’ai vraiment cru que j’allais mourir. » Honoka Kurabeishi
« Je suis originaire de la ville de Futaba à seulement 2 km de la centrale nucléaire et j’ai toujours une maison là-bas. Mais je ne reviendrai jamais vivre là-bas. Pourtant, je suis resté dans la région pour le travail parce que je gère plusieurs supermarchés ici. Mais toute ma famille est partie vivre au Nord de Tokyo. Comme nombre de familles de Fukushima, ma famille est séparée depuis la catastrophe. » Ryoetsu Okumi
Ce restaurant de nouilles japonaises est situé dans la ville de Namie, à 10 km de la centrale nucléaire. Au premier plan, des mangas sont entreposés sur le comptoir.
« Aujourd'hui, je m'y suis habituée mais au début je ne pouvais même pas rester une heure ici, dans mon ancienne imprimerie. Je ne savais pas comment réagir. Je pense que ce n'était pas un endroit où revenir et encore moins un endroit où nous pouvions vivre à nouveau. Ici c'était un quartier de commerçants. Mais tous mes voisins ont acheté une maison ailleurs et personne ne compte revenir. Il y a plus de 100 millions de Japonais et plus de 10 millions d’habitants à Tokyo. Dans un système où c'est la majorité qui décide, les gens de la zone évacuée de Fukushima ne font pas le poids. La petite ville de Namie représente trois fois rien et personne ne s’en soucierait vraiment si elle disparaissait. » Shigeko Watanabe
« Avec mon mari, je tenais un salon de coiffure à Tomioka, à 10 kilomètres de la centrale, jusqu’à l’évacuation. A chaque fois que je reviens ici, j’ai l’impression étrange que quelqu’un est rentré chez moi, qu’un objet a été déplacé. » Keiko Morimatsu
En 2014 quand cette photo a été prise à Namie à 7 km de la centrale de Fukushima, les produits de ce supermarché avaient été laissés en l’état depuis la catastrophe. Originaire de Koriyama à 60 km de la centrale nucléaire, Midori Ito est venue constater l’état de la zone interdite.
Ce magasin de musique se trouve dans la ville de Namie, à seulement 7 km de la centrale accidentée. Comme d'autres magasins de ce type, il a été cambriolé dans les jours qui ont suivi la catastrophe.
Hiroyuki Igari habite à Iwaki (40 km au sud de la centrale de Fukushima Daiichi). Il tient un café avec sa femme. Nombre de ses amis proches sont d’anciens habitants de la zone interdite. Il est ici dans le restaurant abandonné d’un de ses amis, restaurant où il avait l’habitude d’aller, situé à 500 mètres de la côte et à 9 km au sud de la centrale dans le quartier de la gare de Tomioka.
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